Chroniques

par laurent bergnach

Richard Wagner
Götterdämmerung | Damnation des dieux

2 DVD Arthaus Musik (2014)
101 696
Daniel Barenboim joue Götterdämmerung (1876), à Milan, en juin 2013

Filmé sans grand talent au Teatro alla Scala, en juin 2013, cette Götterdämmerung est le point final de la production milanaise d’un Ring démarré en juin 2010. Une ultime fois, après avoir abordé le grand œuvre wagnérien sous différents angles – les relations entre Histoire et mémoire (Das Rheingold), celles entre les êtres humains (Die Walküre) et la noirceur profonde du héros-orphelin (Siegfried) –, le dramaturge Michael P. Steinberg livre sa vision de la journée en cours.

« Ce ne sont pas les dieux, écrit-il, mais les passions humaines qui sont au centre du dernier opéra de la Tétralogie. Née dans la sphère divine, Brünnhilde n’en a pas moins été déchue au rang de simple mortelle. Siegfried s’est mesuré à un dieu et l’a rapidement vaincu au combat, mais son enfance malheureuse et sa destinée montrent bien qu’il appartient au genre humain. Cette épopée ne parle en fait que des hommes, de la descente des dieux au royaume des humains ».

En charge de la mise en scène, Guy Cassiers, après avoir désorienté lors du Prologue [lire notre critique du DVD], n’inspire plus qu’un ennui profond, même si son projet évolue. Ainsi, la vidéo illustrative s’avère moins présente, sans doute à cause d’un huis-clos coupé de la nature ; elle laisse place à un décor de chair mutilée sous verre, en référence à une frise de l’Anversois Jef Lambeaux, Les passions humaines, réalisée à une époque où l’infamie coloniale belge commence à être connue.

« Considérée comme le pendant profane et néo-maniériste du Jugement Dernier de Michel Ange, cette œuvre montre des corps humains entremêlés en pleine jouissance érotique ou déformées par les souffrances physiques, eros et thanatos, l’amour et la mort. L’ensemble évoque également la guerre, les viols et le suicide. »

Si le pénible Lance Ryan dessert à nouveau le rôle de Siegfried [lire notre critique du DVD], Nina Stemme laisse place à Iréne Theorin (Brünnhilde), fabuleuse artiste saluée dernièrement à Budapest [lire notre chronique du 15 juin 2014], qui possède la puissance et l’intériorité rêvées. On apprécie également la santé fraîche de Gerd Grochowski (Gunther), les nuances et l’aisance de Mikhaïl Petrenko (Hagen), de même que le trio aquatique formé par Aga Mikolaj (Woglinde), Maria Gortsevskaïa (Wellgunde), Anna Lapkovskaïa (Flosshilde), et l’onctueuse Margarita Nekrasova (Première Norme).

En créant une tension qui faisait défaut jusqu’ici, Daniel Barenboim parvient à retenir enfin l’attention du mélomane, de même que les danseurs du Ballet Company Eastman, incarnant les pouvoirs du heaume inquiétant, semblent moins vains que d’ordinaire. Mais il est trop tard pour sauver la Tétralogie au complet, dont il ne restera que le souvenir de quelques incarnations incandescentes.

LB