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Chroniques
Richard Wagner
airs d’opéra
Nouvel album Wagner sur le marché, celui d’Evgueni Nikitine, que publie Naïve. Souvent l’on entendit le baryton-basse russe parmi les plateaux wagnériens. Il y est diversement apprécié, ses prestations étant un jour comme ci, un jour comme ça. Pourtant, on ne saurait nier sa nature « artiste », sinon musicale. Pas toujours exemplaires quant à l’intonation, défrisant même parfois les oreilles exigeantes, ses incarnations ont rarement laissé indifférent.
Le programme débute par une exécution scrupuleuse de l’Ouverture du fliegende Holländer. L’Orchestre philharmonique royal de Liège (OPRL) avance des pupitres sérieux, un bel équilibre entre les différentes sections, tel qu’on l’a signalé à plusieurs reprises [lire notre critique du CD Franck, mais surtout celle de son enregistrement des poèmes d’Ysaÿe, récompensé par notre équipe il y a deux ans]. Tout juste pourra-t-on déceler aux cordes un manque de velouté qui signerait une gravure plus romantique. En poste depuis quatre ans et demi, Christian Arming paraît avoir façonné la phalange wallonne à ses besoins expressifs, après le trop peu de soin qu’en avait pris François-Xavier Roth.
Tout de suite arrive Die Frist ist um : l’errant rappelle les termes de la malédiction, de la rédemption à laquelle il aspire. Les premiers vers s’amorcent bien, mais l’accentuation brutale des phrases plus tendues dérape systématiquement. Il faut bien le dire : Nikitine est rarement juste, vraiment. Plus gênant, sa voix affirme une fatigue devenue si fréquente ces derniers temps qu’elle pourrait donner à croire qu’il s’agit désormais de son état : le chanteur travaille avec ce qu’il en reste, et ce n’est guère beaucoup. Souffle incertain, attaques maladroites et timbre fêlé en font la signature, reconnaissable entre toutes.
Qu’en est-il des adieux de Wotan (Die Walküre) ? On se prend très vite à prêter plus volontiers attention au foisonnement orchestral qu’à ce Leb’wohl, du kuhnes, herrliches Kind! en dérobade. L’instabilité est plus frustrante encore dans la romance à l’étoile (Tannhäuser), car l’interprète préserve ici une couleur plus flatteuse. Il y a de l’idée, comme on dit… Le chef autrichien couve admirablement le duo Ortrud/Telramund du deuxième acte de Lohengrin : il nous plonge instantanément dans l’opéra, plus efficacement que toute mise en scène. À Nikitine la réplique est donnée par Michaela Schuster dont le vibrato fait presque peur. Qu’à cela ne tienne : elle est de la trempe des grands mezzo-sopranos flirtant par nature avec l’intervalle, avec un corps vocal richissime – tout l’inverse du héros de ce disque, qu’on ne pourra vanter qu’à le comparer avec d’autres fausses valeurs.
Alors, on se console avec les plages d’orchestre seul. La noire Trauermarsch de la Götterdämmerung (fin du troisième acte) ne manque pas son effet, s’élevant vers le ton de l’épopée, bien qu’accusant lourdement l’écriture percussive. Mais surtout, c’est dans le jouissif Vorspiel de l’Acte III de Lohengrin que les instrumentistes liégeois font florès. Il s’agit cependant du disque d’un chanteur…
KO