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Chroniques
Richard Wagner
Der Ring des Nibelungen | L’anneau du Nibelung
Festival scénique créé dans son intégralité, à Bayreuth, du 13 au 17 août 1876, Der Ring des Nibelungen regroupe Das Rheingold (Munich, 1869), Die Walküre (Munich, 1870), Siegfried et Die Götterdämmerung (Bayreuth, 1876). Outre décrire l’évolution musicale de Richard Wagner qui y songe dès la fin des années quarante, ce chef-d’œuvre tend « à résumer par l’intermédiaire du mythe la pensée poétique et la portée politique du siècle qui l’a vu naître » (Pierre Boulez, préfacier de Voyage au cœur du Ring, Fayard 2005). Soumise à des interprétations multiples et contradictoires, la Tétralogie connut plus d’une mise en scène provocante que dénonce Bruno Lussato (1932-2009), auteur du livre cité plus haut : « l’or du Rhin enfermé dans un établissement balnéaire, le Walhall dans un bunker nazi, les ondines en filles de passe du Second Empire sont des exemples classiques de distorsion des souhaits de l’auteur ».
Du travail de Vera Nemirova, filmé à Francfort en juin 2012 et repris quelques mois plus tard [lire nos chroniques des 25 et 27 janvier, 1er et 3 février 2013], qu’aurait pensé ce théoricien atypique, spécialiste des organisations et collectionneur de stylos ? Aurait-il évoqué « une interprétation partielle […], une falsification pure et simple » ? On en doute car, arrivée sur le projet avec du respect mais sans peur, l’artiste bulgare, en accord avec Bernd Loebe, directeur de l’Oper Franckfurt, et le décorateur Jens Kilian, privilégie la concentration à la débauche. « Nous avons préféré, dit-elle, raconter l’histoire clairement plutôt que d’en livrer une interprétation entièrement nouvelle. Et cela nécessitait l’abstraction ». Une lisibilité bienvenue, car le sous-titrage français n’est pas prévu à cette sortie vidéo !
D’emblée, une caméra efficace révèle un dispositif tout simple, mais qui réserve longtemps des surprises. Incliné vers la salle, le plateau circulaire tourne parfois sur son axe pour découvrir un espace de jeu sous sa partie la plus élevée (caverne de Mime, etc.). Mais ledit plateau, totalement plat pour évoquer l’harmonie, est composé de quatre cercles concentriques qui pivotent indépendamment les uns des autres, créant un terrain accidenté. Éclairages colorés et accessoires restreints fignolent l’univers mythologique. Mais l’essentiel repose sur le génie de Nemirova à oser fraîcheur, poésie et humour. Qui d’autre aurait invité sur scène un Wotan à l’œil noirci au charbon, un canot pneumatique, des bulles de savon ? Elle prouve qu’on peut être original sans provocation, intelligent sans ostentation, et donner du charme à quiconque sur scène.
Face aux ondines charismatiques, lascives comme des gamines jouant la lascivité – Britta Stallmeister (Woglinde), Jenny Carlstedt (Wellgunde), Katharina Magiera (Flosshilde) –, Jochen Schmeckenbecher (Alberich) se montre robuste et vaillant. Terje Stensvold (Wotan) possède une grande aisance vocale, Kurt Streit (Loge) un chant stable, brillant et nuancé, Alfred Reiter (Fasolt) un beau phrasé doublé d’un bel impact, enfin Meredith Arwady (Erda) une saine ampleur. Avant que Martina Dike (Fricka) déchaîne une colère guerrière, nous apprécions Amber Wagner (Sieglinde), soprano rond et caressant, face au menaçant Ain Anger (Hunding) qui intervient sans effort, lesquels volent la vedette à Frank van Aken (Siegmund), ténor poussif et instable.
L’heure de Siegfried est venue.
Si Lance Ryan campe avec conviction un nigaud ignorant les codes sociaux, il alterne malheureusement dérapages et fulgurances – le récit de l’Oiseau de la forêt, que chante Robin Johannsen et danse Alan Barnes. À Hans-Jürgen Lazar (Mime « rheingoldien ») succède Peter Marsh, juvénile et drôle, mais inquiétant au besoin. La dernière journée offre à la toujours efficace Susan Bullock (Brünnhilde) la compagnie de Johannes Martin Kränzle (Gunther), lumineux et vaillant, celle très sûre de Gregory Frank (Hagen), sans oublier Anja Fidelia Ulrich (Gutrune), soprano élégant aux graves chaleureux, puis Claudia Mahnke (Waltraute), mezzo généreux autant qu’expressif. Malgré quelques passages tendus, Sebastian Weigle défend globalement la vivacité et la fluidité, à la tête du Franckfurter Opern- und Museumorchester.
LB