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Chroniques
Richard Wagner
Lohengrin
Inspiré par des textes du Moyen Âge (Parzival, Garin Le Lorrain, etc.), Richard Wagner (1813-1883) amorce le livret de son sixième opéra avant même la création de Tannhäuser (1845). Pour sa part, Robert Schumann juge l’histoire du Chevalier au cygne inadaptée pour la scène, mais ces doutes importent peu à qui trouve que l’aspect tragique du caractère et de l’intrigue possède « de profondes racines dans la vie moderne », à l’instar du mythe d’Antigone (Une communication à mes amis, 1852). De plus, comment freiner un pionnier qui, justement, veut surmonter les conventions du genre, quitter l’ancienne forme à numéros pour faire un pas décisif vers le drame musical, initié avec Der fliegende Höllander (1843) ?
En septembre 1848, Wagner exécute le final du premier acte de Lohengrin, lors du tricentenaire de la Staatskapelle de Dresde. Mais un an plus tard, la fréquentation du milieu anarchiste vaut au compositeur l’exil en Suisse et le report de la création à une date incertaine. C’est Franz Liszt qui s’en charge, au Großherzogliches Hoftheater de Weimar, le 28 août 1850. Des années plus tard, son ami et beau-père s’enthousiasme encore : « avec Lohengrin, tu mets fin au vieux monde de l’opéra. L’esprit plane au-dessus des eaux et la lumière va apparaître ! » (30 janvier 1858).
Tobias Niederschlag nous l’apprend dans la notice du DVD : l’ouvrage est aujourd’hui bien ancré dans la capitale de Saxe, avec plus de sept cent cinquante représentations entre 1859 et aujourd’hui. Depuis 1983, c’est la mise en scène de Christine Mielitz qui prévaut, laquelle déplace l’action du Brabant médiéval (Xe siècle) vers l’Allemagne wilhelmienne (1870-1818). L’air de rien, alors que l’écrin est confortable – décors et costumes de Peter Heilen, lumières de Friedewalt Degen –, un bijou tranquille envoie des éclats qui captivent. Lohengrin minimaliste et Telramund enferré dans l’impensable (un jugement de Dieu trafiqué !) laissent toute la place aux deux femmes de l’histoire, comme rarement.
Filmées à la Semperoper en mai 2016, ces dernières ont pour interprètes Anna Netrebko (Elsa) et Evelyn Herlizius (Ortud). La première, qui fait ses débuts dans le répertoire wagnérien, offre des atouts souvent cédés à l’art italien, onctuosité et attaques exquises en tête. Toute de glace et de raideur, la seconde offre une voix souple et puissante qui autorise des fulgurances à l’expressivité tenue. Côté masculin, on est gâté avec les vaillants Derek Welton (Héraut), Georg Zeppenfeld (Heinrich der Vogel) et Tomasz Konieczny (Telramund) – ce dernier doté d’une voix large qui impressionne une fois encore [lire nos chroniques du 18 janvier et 7 juillet 2017]. Enfin, on aime la pureté simple de Piotr Beczala (rôle-titre), tenace et tendre.
« Pas de Lohengrin sans le scintillement des cordes dresdoises, pas d’œuvre de maturité sans le souvenir des émouvantes cantilènes des bois et de la splendeur des cuivres. » À la tête de la « harpe magique » qui faisait vibrer Wagner, Christian Thielemann sublime les qualités séculaires de l’orchestre fondé par le prince-électeur Maurice en 1548. Avec clarté et fluidité, le Berlinois parvient à une lecture profonde qui exclut pourtant lourdeur et épaisseur. Avec ces talents réunis sur scène et en fosse, pouvait-on rêver rentrée musicale plus troublante ?
LB