Chroniques

par laurent bergnach

Richard Wagner
Das Liebesverbot | La défense d’aimer

1 DVD Opus Arte (2017)
OA 1191 D
Ivor Bolton joue Das Liebesverbot (1836), deuxième opéra de Richard Wagner

Composé juste après le romantique Die Feen [lire nos chroniques du 24 mai 2013 et du 27 mars 2009], le second opéra de Wagner (1813-1883) préfigure la fantaisie et l’humour de Die Meistersinger von Nürnberg. Pour concevoir lui-même le livret versifié en deux actes de Das Liebesverbot – un temps nommé La novice de Palerme, pour permettre sa naissance durant la Semaine sainte –, le natif de Leipzig puise dans une comédie de Shakespeare, Measure for measure (1623). Très tôt, le chantre d’Avon fut placé sur un piédestal aux côtés de Beethoven ; Wagner étudia sa langue, traduisit le monologue de Roméo, et eut même un projet plus vaste, peu connu, qu’il confierait au lendemain du succès de Rienzi, avec une pointe d’autodérision :

« J’esquissais une grande tragédie inspirée à la fois de Hamlet et de Lear. Le plan en était formidable : vingt-quatre personnages mouraient durant la pièce si bien qu’il me fallut les faire revenir sous forme de fantômes au dernier acte » (Esquisse autobiographique, 1843).

Le compositeur resserre l’action de la pièce anglaise, transposée en Sicile où le régent Friedrich impose son puritanisme à une population éprise d’amour libre. Avertie du passé charnel du despote, Isabella quitte son couvent pour demander la grâce d’un frère emprisonné, louer la liberté des sens, puis mettre à jour le vrai visage de l’ennemi, à l’occasion du carnaval. Autant dire que le sympathisant du mouvement Jeune-Allemagne a choisi ce sujet pour fustiger l’hypocrisie bourgeoise et les politiques réactionnaires… à l’heure de conquérir la belle Minna Planer. Pour le malheur de celui qui est alors directeur musical du Théâtre de Magdebourg, la création de l’ouvrage en son antre est un échec (29 mars 1836).

Depuis peu, Das Liebesverbot sort du purgatoire [lire notre chronique du 14 juillet 2013], dont témoigne cette production madrilène filmée à la fin de l’hiver dernier, sans surprise dans sa forme écourtée [lire notre chronique du 19 février 2016]. Kasper Holten place nos protagonistes sur fond de niches et d’escaliers publiques, leurs petites chambres apparaissant le moment venu, à l’avant-scène (costumes et décors de Steffen Aarfing). C’est simple et souvent drôle.

Nombre de chanteurs talentueux s’y amusent, dont l’excellente Manuela Uhl (Isabella), entourée par Maria Miró (Mariana), soprano au long souffle maîtrisé, et María Hinojosa (piquante Dorella). De même Christopher Maltman (Friedrich), jamais décevant, donne-t-il la réplique à Peter Lodahl (Luzio vaillant), Ilker Arcayürek (Claudio ferme et nuancé) et Ante Jerkunica (Brighella ample à souhait). À la tête des Orquesta y coro del Teatro Real, Ivor Bolton excelle à rendre les inspirations italiennes d’un jeune homme avide de succès (Rossini, Bellini, Donizetti, Auber, Boieldieu, etc.).

LB