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Chroniques
Richard Wagner
Parsifal | Perceval
On en aura vu plus d’une, de ces mises en scène qui cuisinent l’ultime ouvrage de Wagner d’une alerte cuillère ! Et l’on aura vu bien des travaux du regretté Graham Vick pour tenir l’artiste en grande estime. Toutefois, la présente production, filmée au Teatro Massimo de Palerme en 2020, ne convainc guère, il faut l’avouer. Sur une estrade rudimentaire de grande dimension se déroule une cérémonie sinistre et parfois même incohérente, vis-à-vis de l’argument, dès lors tiré par le cheveux, et vis-à-vis d’elle-même, ce qui discrédite cruellement l’entreprise. L’omniprésence d’une armée systématiquement agressive, en état de siège permanent – peut-être celui de la non-violence et de la paix, dans une contrée où abattre un cygne est un délit ? –, éloigne du sujet sans en inventer d’autre. Le scénographe Timothy O’Brien a recours à plusieurs toiles peintes, quand Mauro Tinti convoque une vêture de commando. À l’écran – il est probable qu’elle ait eu quelque autre effet in loco –, la lumière de Giuseppe Di Iorio semble cultiver la platitude triviale du dispositif, tour à tour agrémenté d’une petite trappe où puiser un mug pour recueillir le sang de la plaie et d’une trappe de dimension apte à accueillir les tentatives caressantes de la magicienne durant l’acte médian, sous le regard auréolé de l’icône byzantine de Maria Magdalena.
Sur ce plateau paradoxalement encombré par son dépouillement, le supplice d’Amfortas, couronne d’épines sur le crâne surenchérie d’une tenue christique plus manifeste encore, ferait perdre leur latin aux anthropologues, sociologues et mêmes psychanalystes du sacrifice, chrétiens ou non, quand un rideau accueille en ombres chinoises les lascivités prémonitoires avant le chapitre au château de Klingsor ainsi que l’inévitable défilé des horreurs guerrières – exécutions à bout portant, éventration d’une femme enceinte, viol, etc. Outre de ne point éclairer le spectateur sur les intentions de mise en scène, quand bien même s’agirait-il d’illustrer en son plus navrant la déréliction, ces images puisent dans le catalogue éculé des procédés contemporains de l’interprétation du répertoire, sans autre imagination, croyons-nous, que de disposer une énième fois d’un matériau désormais si habituel qu’il ne véhicule quasiment plus rien.
Où trouvera-t-on quelque intérêt dans ce document ? Dans la musique, répond Madame La Logique, allégorie que nous nous gardions bien de solliciter en nos chroniques, celle de l’art et celle tenue par le plus grand nombre comme la seule digne de porter ce nom n’ayant à peu près rien à faire l’une avec l’autre. Si la distribution vocale livre une prestation de belle tenue, ce n’est toutefois pas suffisant lorsqu’il s’agit de donner une œuvre conçue pour le théâtre, même si ce dernier fut plus ou moins confondu avec le temple par un compositeur qui préféra le terme Bühnenweihfestspiele à celui d’opéra. À la tête de l’Orchestra del Teatro Massimo, maison dont il est alors le directeur musical avant de conduire la destinée de la Volksoper de Vienne (depuis 2022), Omer Meir Wellber, régulièrement salué dans nos colonnes [lire nos chroniques de Daphne, Aida, Mefistofele, Tannhäuser, Andrea Chénier, Madama Butterfly et Les vêpres siciliennes] et l’auteur du roman Les absences de Haïm Birkner (traduction de l’hébreux par Laurence Sendrowicz, Éditions du sous-Sol, 2022), ne paraît pas inspiré par la partition au delà du premier acte dont il entame le Vorspiel d’un bon pas. Le soin apporté au phrasé comme aux timbres laissait présager une vision à long terme dont on attend encore qu’elle se réalise. Les Voci bianche de l’institution sicilienne, préparées par Salvatore Punturo, ainsi que le Coro del Teatro Massimo, sous la direction de Ciro Visco, ne déméritent pas.
Parmi les Blumenmädchen, on remarque particulièrement Maria Radoeva et Talia Or [lire nos chroniques de La passagère et de Three Songs without words]. Les ténors clair d’Ewandro Stenzowski et tonique de Nathan Haller sont d’idéaux Knappen. Le Titurel d’Alexeï Tanovitski possède l’assise et la carrure du rôle, mais l’intonation demeure aléatoire [lire nos chroniques de Lady Macbeth de Mzensk, Der fliegende Holländer à Baden Baden et Le printemps]. On retrouve le baryton-basse robuste de Thomas Gazheli en Klingsor puissant, quoique pas toujours parfaitement stable [lire nos chroniques d’Alzira, Fidelio, La campana sommersa et Der fliegende Holländer]. L’indéniable opulence du chant de Catherine Hunold trouve naturellement sa place dans les héroïne wagnériennes, avec une enviable facilité [lire nos chroniques des Wesendonck Lieder et de Lohengrin]. Le mezzo-soprano français donne une Kundry formidablement lyrique, très bien chantante… voire un peu trop, mais on ne boudera pas cette générosité-là. Immense basse au grain presque intrusif [lire nos chroniques d’Œdipus Rex, The dream of Gerontius et Don Giovanni], l’excellent John Relyea compose un très grand Gurnemanz. Apprécié de longue date, le baryton islandais Tómas Tómasson, après avoir été un remarquable Klingsor [lire nos chroniques des productions de Bruxelles et de Berlin], incarne un Amfortas infiniment nuancé qui bouleverse, en homme de théâtre avisé [lire nos chroniques de Celan, Wozzeck, Rigoletto, Mazeppa, Siegfried, Lear, Der Vampyr, Das Wunder der Heliane et Sleepless].
Enfin, le rôle-titre revient au ténor britannique Julian Hubbard : la franchise de l’émission, le confort de la projection, enfin la fiabilité exemplaire de la ligne vocale caractérisent un Parsifal d’une précision rare [lire nos chronique de Rusalka et d’Il prigioniero]. Sans détenir une voix charismatique, voilà un artiste qui comble pourtant les attentes et dont on aimera retrouver, au fil du temps, dans ce rôle méritant qu’il y mûrisse une interprétation déjà fort probante.
BB