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Chroniques
Richard Wagner
Lohengrin
Préface à l’édition de plusieurs de ses livrets, Une communication à mes amis (1852) permet à Wagner un rapprochement fort intéressant avec des histoires léguées par l’Antiquité. Tannhauser (1845), par exemple, présente un héros proche d’Ulysse, l’homme égaré qui fuit tour à tour Calypso et Circé car il se languit d’une seule et unique femme. En ce qui concerne Lohengrin, créé à Weimar le 28 août 1950, le compositeur l’associe à l’histoire de Zeus et Sémélé – « Dans ce mythe, le dieu aime une humaine, mais celle-ci demande à voir son amant sous sa vraie apparence. Zeus exauce Sémélé avec tristesse puisqu’il sait que son éclat divin anéantira la femme qu’il aime ». Si Lohengrin ne peut révéler sa nature supérieure, c’est pour une raison simple : « [...] il n’aurait alors obtenu que de l’admiration ou de l’adoration alors que seuls l’amour, la compréhension par l’amour pouvaient le délivrer de sa solitude » (ibid.).
À la fin 2018, Árpád Schilling monte à Stuttgart l’histoire du fils de Parsifal en donnant une place inhabituelle au groupe que les costumes gris des deux premiers actes (Tina Kloempken, assitée de Saskia Schneider) fondent en une masse d’autant plus imposante que le plateau est nu (décor et dramaturgie signés respectivement Raimund Orfeo Voigt et Miron Hakenbeck). Le metteur en scène hongrois [lire notre chronique de L’affaire Makropoulos] explique :
« Honnêtement, je ne crois pas qu’une seule personne soit capable de changer la société tout entière. C’est pourquoi je suis avant tout intéressé par la communauté des Brabançons : pourquoi acceptent-ils qu’Elsa soit traitée aussi injustement ? Pourquoi ce peuple a-t-il besoin d’un tel sauveur ? Pourquoi ne peuvent-ils pas accomplir seuls les objectifs qu’ils se fixent ? […] Dans cette production, nous ne montrons pas d’ "élu". Quand les Brabançons chantent l’arrivée du cygne, on voit une foule excitée, de laquelle Lohengrin émerge. Comme si la communauté produisait un sauveur à défaut de pouvoir supporter sa propre culpabilité. Les Brabançons savent qu’ils devraient aider Elsa, mais sont incapables de le faire – que ce soit par paresse ou par peur des autorités. Donc ils créent quelqu’un qui incarne leur aptitude à la bonté ».
D’un spectacle qui n’est pas indigent sans pourtant passionner, saluons plutôt l’aspect sonore. Les hommes s’y distinguent grâce à la présence de Michael König, rôle-titre impacté [lire nos chroniques du Journal d’un disparu, de Tannhäuser, Aufstieg und Fall der Stadt Mahagonny, Fidelio, Der Freischütz et d’Ariadne auf Naxos], Martin Gantner (Friedrich) à la couleur idéalement belliqueuse [lire nos chroniques de la Symphonische Gesänge Op.20, de Genoveva, Die Gezeichneten, Die Meistersinger von Nürnberg et Lohengrin], Goran Jurić (Heinrich), basse sombre à souhait [lire nos chroniques de Lady Macbeth de Mzensk et de Mosè in Egitto] et le puissant Shigeo Ishino (Héraut d’armes). Les dames brillent également, soit Simone Schneider (Elsa), soprano à l’assise grave qui associe stabilité et égalité du chant [lire nos chroniques de la Große Messe Op.37, Die Walküre, Vier leztze Lieder Op.150, Fidelio et Salome], et Okka von der Damerau (Ortrud), mezzo-soprano d’une grande souplesse et fort expressif [lire nos chroniques de Make no noise, L’ange de feu, Un ballo in maschera, Das Wunder der Heliane, Karl V et Siegfried]. D’un bout à l’autre de l’autre de l’ouvrage, le Staatsopernchor Stuttgart (préparé par Manuel Pujol) ne faiblit pas en intensité.
En fosse avec l’orchestre maison, Cornelius Meister, qui prenait alors ses fonctions de directeur musical de l’Opéra de Stuttgart, installe d’abord un mystère éthéré, sans excès de solennité, au moyen d’une articulation ample et d’un geste vaste [lire nos chroniques de La Passion de Simone, A tearing of vision, Symphonie Écossaise, La source d’un regard, Sinfonie der Tausend, Parsifal et Trois aquarelles]. Il devient ensuite plus profane, dirons-nous, à mesure que le danger s’incarne. Les cuivres sont particulièrement efficaces.
LB