Chroniques

par bertrand bolognesi

Robert Schumann
Kreisleriana – Drei Romanzen – Kinderszenen

1 CD Pierre Verany (2003)
PV 703081
Robert Schumann | Kreisleriana – Drei Romanzen – Kinderszenen

Formé auprès du Bulgare Ventislav Yankoff, de Jacqueline Robin, et de Catherine Collard, le pianiste François Chaplin a remporté de nombreux prix. Invité régulier de nombreux festivals, on a pu voir ce pianiste discret à La Roque d'Anthéron, aux Flâneries Musicales de Reims, etc. Il a enregistré Chopin, Poulenc, et l'ensemble des Mazurkas de Scriabine ; on le retrouve avec ce disque Schumann, après une intégrale Claude Debussy, largement saluée par la presse spécialisée.

N'y allons pas par quatre chemins : ses Kreisleriana Op.16 déçoivent par une sonorité peu travaillée, des aigus disgracieux, un regrettable manque de style. La dynamique de Äußert bewegt est souvent chaotique, le lyrisme de la seconde pièce est bien présent, mais sans poésie, dans une articulation très claire qui masque cependant l'essence de cette page. La suivante est joliment contrastée, mais on y entend trop tout, si l'on peut dire : ça devient de la musique de croisière, très ampoulée. En revanche, la quatrième pièce est un petit bijou, délicatement posé, bénéficiant d'un jeu véritablement sensible, sans affectation. Du coup, la suivante paraît terne, peu élégante, et même brutale. Il faudra le tout dernier morceau pour découvrir enfin un travail de couleur assez raffiné. Kreisleriana (Fantasien) est un hommage au personnage inventé par Hoffmann : le fantasque maître de chapelle Johannes Kreisler. La dichotomie, souvent présente dans l'œuvre du compositeur, est une nouvelle fois assumée : rêve et cauchemar, bizarrerie et sagesse, innocence et dérision se partagent ses huit pièces écrites en quatre jours, au mois d'avril 1838.

Le pianiste développe un jeu plus souple dans les Drei Romanzen Op.28, écrite à la fin de 1839, et encore rarement jouées, peut-être à cause d'un titre renvoyant à la mièvrerie des musiques de salon avec lesquelles elles n'ont rien de commun. Chaplin est tout simplement excellent dans ces pages, qu'il respire avec évidence, conteur raffiné (en particulier dans la troisième). Nous voici loin des maladresses de la première œuvre de ce programme. C'est au contraire un ravissement.

Les Kinderszenen Op.15 (Scènes d'enfants) sont bien le reflet de cette époque romantique ou l'homme, le créateur surtout, se tourne vers lui-même pour retrouver sa propre enfance. Ce que nous propose Schumann, ce sont des scènes d'intérieur éloignées de la nature (Am Kamin), de jeu solitaire (Ritter vom Steckenpferd), de silence (Träumerei, Kind im Einschlummern)... Seule la parole de l'adulte, quand il intervient, brise ce huis clos pour y introduire des visages et des paysages étrangers. À l'opposé d'un Debussy bruyant de jouets dans Children's Corner, d'un Ravel contant dignement Les Contes de ma mère l'Oye, on s'enfonce avec le compositeur allemand dans la gravité, quittant le Glückes genug (Bonheur parfait) du début pour rencontrer Fürchtensmachen (Croquemitaine), rejoignant certains aspects du For Children de Bartók. Les treize morceaux furent composés rapidement, en janvier et février 1838. François Chaplin semble nettement à son aise dans ce recueil. Il y évolue sans emphase, soignant particulièrement sa sonorité, favorisant une certaine sècheresse de la frappe, cependant jamais dure. La première pièce est ici joliment fluide, Wichtige Begebenheit est fait avec beaucoup d'esprit, non dépourvu d'un doux sourire, le Croquemitaine avec caractère et amusement, tandis que le cycle s'achève par Der Dichter spricht que le pianiste rend tout à fait lumineux. Il conviendra donc d'oublier Kreisleriana en écoutant un disque par ailleurs raffiné et pertinent.

BB