Chroniques

par pierre-jean tribot

Robert Schumann
intégrale pour violon et piano

1 coffret 3 CD Genuin (2004)
GEN 04043
Robert Schumann | intégrale pour violon et piano

Robert Schumann, dont on célèbre cette année le cent cinquantième anniversaire de la disparition, est l'auteur d'une importante œuvre pour violon et piano. En première mondiale sur instruments d'époque, la violoniste allemande Lisa Marie Landgarf et son compatriote le pianiste Tobias Koch nous en offrent l'enregistrement intégral.

Les trois sonates pour violon et piano, regroupées sur un même disque, sont assurément le sommet de cette production. Ce célèbre triptyque fut écrit pour trois violonistes amis de Schumann. La Sonate Op.105 n°1 fut créée en 1851 par Wilhem Joseph von Wasielewski (1822-1896) ; premier violon du Gewandhaus de Leipzig puis de l'Orchestre de Düsseldorf, il était très apprécié du compositeur pour ses qualités musicales et humaines. Wasielewski, à défaut d'être reconnu comme un soliste de premier plan, marqua la musicologie de son époque par la qualité de ses écrits : il est le rédacteur de la première biographie exhaustive et qualitative de Robert Schumann, à une époque où les écrivains versaient dans l'hagiographie. Composée la même année, la Grande sonate Op.121 n°2 eut comme créateur Ferdinand David (1810-1907) ; élève de Louis Spohr, David fut nommé Konzertmeister du Gewandhaus à l'âge de vingt-six ans, grâce à l'intervention de Mendelssohn. Il occupa cette charge pendant trente-sept ans. Compositeur lui-même, il ne convainquit nullement son ami de ses dons dans ce domaine. Une petite Romance, fort bien troussée, est présentée sur le dernier disque de ce coffret ; mais elle ne permet pas de jauger les qualités de son géniteur. La Sonate n°3 de Schumann fut créée par Joseph Joachim (1831-1907) en 1853, l'un des plus grands virtuoses du XIXe siècle. Magnifique interprète des Sonates et partitas de Bach, il donna en première audition les concerti de Brahms et de Schumann, et contribua à imposer les derniers Quatuors de Beethoven. Très lié à ce soliste qui se produisait fréquemment en duo avec Clara Schumann, l'auteur lui dédia aussi la Fantaisie Op.131. Compositeur à ses heures, Joachim nous laisse quelques partitions, dont une belle Romance proposée ici en complément.

Le coffret est complété par deux disques que l'on peut qualifier de thématiques. Le premier regroupe différentes œuvres originalement écrites pour divers instruments (clarinette, cor, violoncelle, hautbois et alto) et piano : Fantasiestücke Op.73, Adagio et Allegro Op.70, Fünf Stücke im Volkston Op.102, Drei Romanzen Op.104, Märchen-Bilder Op.113. Le dernier regroupe, aux cotés de la Sonate F.A.E et de la Phantasie Op.131, des transcriptions pour violon et piano de la Chaconne de Bach et du Caprice n°10 de Paganini.

Dans l'intéressant livret de présentation, les artistes affirment ne pas avoir cherché un esprit parfaitement authentique. Ils proposent leur vision, forcément subjective, de ce corpus. Cette approche se base sur la nouvelle édition de l'œuvre de Schumann, publiée en 2002 sous la direction d’Ute Bär. Ce travail musicologique restaure les intentions originales du compositeur souvent malmenées par les éditions successives. Cet acte est d'autant plus nécessaire que Schumann était particulièrement méticuleux sur les indications.

Les deux artistes sont les compagnons idéaux pour ce voyage aux confins de l'inspiration et de l'âme. La violoniste allemande, qui joue sur un violon turinois de Francesco Pressenda (1847), possède la technique, la virtuosité et l'inspiration nécessaires pour rendre les différentes facettes de ces musiques. Le pianiste Tobias Koch utilise plusieurs pianoforti : un Conrad Graf de Vienne (1821-1822), un Érard de Paris (1839) et un Johannes Bernhard Klems de Düsseldorf (1850) ; accompagnateur émérite, il sait être attentif à la moindre sollicitation du texte, tandis que son toucher léger et profond fait merveille. Si la discographie des Sonates pour violon et piano est riche de belles versions – Gidon Kremer et Marta Argerich (DGG) ou Gérard Poulet et Jean-François Hesser (Erato) –, les enregistrements des autres pièces sont plus ou moins réussis. Servi par une superbe prise de son, ce coffret s'impose comme une référence absolue.

PJT