Recherche
Chroniques
Robert Seethaler
Le dernier mouvement (roman)
Une fois n’est pas coutume, c’est d’un roman qu’il s’agit, plutôt que d’un essai musicologique ou d’une biographie de compositeur. Sans aller jusqu’à inventer les fausses vraies lettres de Clara à Robert [lire notre critique de l’ouvrage de Christian Wasselin], Robert Seethaler a imaginé la dernière traversée de l’Atlantique par un Gustav Mahler malade et fatigué, peu de temps avant son trépas. Coutumier de l’inscription du destin de ses personnages dans l’Histoire, comme le jeune Andreas envoyé sur le front de l’Est en 1942 (Ein ganzes Leben, Goldman, 2014 ; traduction française par Élisabeth Landes sous le titre Une vie entière, Sabine Wespieser Éditeur, 2015), mais encore de l’apparition d’une célébrité dans la récit – le professeur Freud souffrant de sa mâchoire cancéreuse et quittant l’ancienne capitale de l’empire avec l’Anschluß (Der Trafikant, Kein & Aber, 2012 ; traduction française par Élisabeth Landes sous le titre Le tabac Tresniek, Sabine Wespieser Éditeur, 2014), l’écrivain autrichien va plus loin, cette fois, en faisant de l’auteur de l’Auferstehungssinfonie son sujet, ou plutôt de la rencontre entre le musicien et l’imminence de sa mort.
Ouvert sur le pont d’un paquebot, dans la nuit glacée, Le dernier mouvement (Der letzte Satz, Hanser, 2020) se fait tour à tour méditation sur le destin de l’artiste, bilan de sa vie amoureuse et d’une carrière brillante mais interrompue en plein vol, et bref portrait psychologique, truffant le récit de plusieurs flashbacks qui le montrent jeune chef d’orchestre dont le renom gagne Vienne et lui vaut l’éblouissante Alma, enthousiaste à l’accueil chaleureux des New-Yorkais, etc. La certitude de la fin croise ici l’amertume à la connaissance du nouvel amour de son épouse, un amour qu’elle ne cache pas. Le personnel de bord prend soin du grand musicien, et tout particulièrement un gamin qui lui donne du Monsieur le Directeur à chaque fin de phrases, le bichonnant à renfort de tasses de thé et de couvertures. Encore croise-t-on ici le fameux psychanalyste que le compositeur rencontra, comme l’on sait. L’antisémitisme de la Vienne impériale est bien présent, de même que les enthousiasmes et les déboires encourus par Mahler lorsqu’il en dirigeait l’Opéra.
Dans un bistrot des docks, le gamin du vaisseau jette un œil sur un journal.
« En première page, on y voyait la photo d’un homme. Bien que ce visage lui fît l’effet d’appartenir à un autre monde, le garçon reconnut tout de suite le petit homme empaqueté dans ses couvertures du pont supérieur… » (même traductrice). Ainsi apprendra-t-il non seulement le décès de l’inconnu pour lequel il s’était pris d’affection, mais son identité. Sans trop appuyer les quelques références aux indispensables éléments biographiques, Seethaler, dans un style épuré, emmène loin le lecteur, et l’invite à porter, lui aussi, un regard bienveillant sur le musicien.
BB