• pages de chevet

Né à Berlin en 1904, travaillant comme journaliste à ses débuts, puis enseignant dans plusieurs universités américaines à partir de 1940, Rudolf Arnheim s'est intéressé en pionnier à la psychologie des arts visuels – Le Film en tant qu'art (1932). Cependant, il ne privilégie pas l'œil au détriment de l'oreille et commence à préparer, dès la fin des années vingt, un livre sur l'émergence d'un tout nouveau média offrant à domicile, de façon quasi continu, la participation de chacun à des événements vécus en direct. Ayant quitté l'Allemagne en août 1933, c'est en Italie qu'Arnheim compose Radio, publié d'abord en anglais (1936), dans une version italienne (1937), puis seulement dans son pays natal, quarante ans plus tard – comme si la suprématie populaire de la télévision, prédite par le penseur en opposant symboliquement l'éducateur à la strip-teaseuse, avait rendu désormais son propos désuet.

Dans son ouvrage qui se veut « une tentative pour exposer les résultats et enseignements de cette expérience singulière », Arnheim souligne l'importance de notre environnement sonore, – du bruit de fond au discours de l'orateur, indépendamment du sens –, et met en garde l'homme de radio : sans nuances, sans brillance, sans couleurs de sa part, l'auditeur ne ressentira qu'ennui et éteindra son poste… Suivent alors des conseils pour gérer au mieux l'espace psycho-acoustique ouvert par le microphone, ce lieu de distances où prennent place des musiciens ou les acteurs d'un Hörspiel. À l'inverse de la chanteuse lyrique qui s'adresse au dernier rang, du professeur qui fait les cent pas durant son cours, ici, les meilleurs résultats dépendent d'effets modestes et intimes.

Nourrie d'allusions nombreuses au cinéma, au théâtre et à la dialectique, la réflexion d'Arnheim l'amène à exiger des productions artistiques ou intellectuelles de qualité, compréhensibles par le plus grand nombre pour peu qu'on soit pédagogue, et à se méfier d'un conditionnement pervers. « Si la radio libérale est le paradis de ceux qui ont soif de savoir, résume-t-il, une radio autoritaire apportera une vie tranquille et sans surprise à ceux qui ont besoin d'un guide pour penser ». Une phrase qui fait frémir quand on sait que le radio-réveil accompagne, depuis des décennies, le retour à la vie de millions de foyers !

LB