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Chroniques
Ruggero Leoncavallo
Zazà
À la toute fin du XIXe siècle, une nouvelle école italienne apparaît en musique, nommée Giovane Scuola, en rupture avec une certaine tradition incarnée par Verdi – lequel domina les théâtres avec, notamment, ses nombreuses adaptations de Shakespeare, Macbeth (1847), Otello (1887) et Falstaff (1893). Une part de la production de ses maîtres, nés grosso modo durant une même décennie – Ruggero Leoncavallo (1857), Giacomo Puccini (1858), Pietro Mascagni (1963), Francesco Cilea (1866), Umberto Giordano (1867), etc. – s’imprègne du vérisme ambiant, cernant les abimes de l’existence humaine tout en adoptant une vision critique de la société contemporaine.
Si le nom de Giordano passa à la postérité grâce à Andrea Chénier (1896) plutôt qu’avec Siberia (1903) [lire nos critiques des DVD Dynamic et C Major], celui de Ruggero Leoncavallo reste lié à Pagliacci (1892) bien plus qu’à Zazà. L’histoire est celle d’une jeune femme renommée comme chanteuse dans un théâtre de variétés, qui tombe amoureuse de l’homme d’affaire Milio Dufresne. Mais ce dernier s’avère marié et père de famille, ce qu’il cache à Zazà, de fait reléguée au rang de maîtresse. Lorsqu’elle apprend la vérité, l’artiste est profondément blessée et décide de prendre de la distance, en particulier pour préserver la jeune enfant de Dufresne – il est conseillé de bien connaître l’action au moment du visionnage, la jaquette annonçant faussement un sous-titre français... Le Napolitain et son librettiste Carlo Zangarini adaptèrent une pièce de Pierre Berton et Charles Simon, et l’ouvrage en quatre actes fut créé avec succès au Teatro Lirico de Milan, le 10 novembre 1900, sous la baguette de Toscanini.
En 2020, la charmante Zazà quitte son fief de Saint-Étienne pour le Theater an der Wien. Christof Loy l’a accueillie sans hésitation : « C’est assez motivant pour moi de mettre en scène à la fois des œuvres connues dont je souhaite et dois interroger l’histoire de l’accueil, et des œuvres inconnues qui permettent de donner cours à l’imagination et de travailler sans a priori. » (notice du DVD). Avec la participation de Raimund Orfeo Voigt pour les décors, il place sur une tournette les coulisses d’un théâtre abritant les archétypes du divertissement (Pierrot, ballerine, etc. mais aussi un Charlot qui nous situe après la première apparition à l’écran du personnage, en 1914), ainsi que les deux logis antagonistes du couple : celui très austère d’une Zazà bohème, avec son lit au sol, et celui de Milio dont bureau et piano marquent d’emblée un univers bourgeois. Quant à lui, Herbert Barz-Murauer est en charge des costumes.
Avec un soprano rond et chaleureux, un legato nourri, Svetlana Aksenova [lire nos chroniques de Rusalka, Otello et Le conte du tsar Saltan] défend bien le rôle-titre qu’entourent une mère envahissante, un homme égoïste et un ancien amant protecteur. Ils sont incarnés par Enkelejda Shkosa, émouvante et drôle Anaide [lire nos chroniques de Guillaume Tell et d’Il trovatore], Nikolaï Schukoff (Dufresne), ténor plus en force que d’ordinaire malgré un solo très souple au début du troisième acte [lire nos chroniques de Lady Macbeth de Mzensk, Dialogues des carmélites, Jenůfa, Fidelio, Der Freischütz, Lohengrin, La Juive, Aufstieg und Fall der Stadt Mahagonny à Toulouse puis à Aix-en-Provence, Tiefland, The Bassarids, Parsifal à Paris, Lyon et Toulouse, enfin de L’ange de feu], et Christopher Maltman (Cascart), ici baryton sans nuances mais qui ne manque pas de suavité lorsque la situation l’exige. Pour leur santé vocale, on apprécie également Tobias Greenhalgh (le journaliste Bussy) [lire notre chronique de Don Pasquale], Paul Schweinester (l’impresario Courtois) [lire nos chroniques d’Amleto, Don Quichotte, Ariadne auf Naxos, Halka et Der Schatzgräber] et Ivan Zinoviev (le régisseur Duclou). L’Arnold Schönberg Chor et l’ORF Radio-Sinfonieorchester Wien sont aussi présents. Stefan Soltész emplit la fosse d’une volupté assez vériste, échos de guimauve straussienne et semence des bandes-son d’Hollywood.
LB