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Chroniques
récital Fanny Vicens
Bedrossian – Gervasoni – Harada – Kourliandski – Lang – etc.
Très jeune sur les scènes internationales comme pianiste et accordéoniste, Fanny Vicens (née à Perpignan, en 1987) a eu de nombreux professeurs – Anne-Maria Hölscher, Hans Maier, Hugo Noth, Yannick Ponzin, ainsi que Reinhard Becker et Denis Pascal – qui l’ont formée à suivre une double voie : d’un côté l’interprétation du répertoire claviériste (1500-1800), d’un autre la défense de la musique contemporaine, voire de la création. La seconde facette fait l’objet du présent enregistrement, consacré à sept pièces écrites durant ces vingt dernières années, entre 1997 et 2014, qui tente une réponse à la question : qu’écrire pour l’accordéon et de quelle manière ?
Baignant d’abord dans la philosophie et le jazz, l’Autrichien Bernhard Lang (1957) aborde la composition dans les années quatre-vingt, se faisant notamment remarqué par son quatuor à cordes Zeitmasken (1987), puis évoluant peu à peu vers la musique de scène (théâtre musical, Tanzperformance, installation, etc.). S’il faut relier Schrift 3 (1997) à des techniques picturale et littéraire, ce sont le pointillisme et l’écriture automatique. On en apprécie la tendre frénésie colorée, sa transe entre soie et grain, aux allures d’improvisation.
Moins connue est la Tokyoïte Keiko Harada (1968), dont la carrière commença par des improvisations au piano, lorsqu’elle était enfant. En Europe, elle étudie avec Ferneyhough et Kurtág, se faisant une spécialité d’écrire pour l’accordéon, en petite formation – pour accompagner A streetcar named desire, mis en scène par Satoshi Miyagi (2002), ou Femmes en miroir (2003), un film signé Kiju Yoshida –, ou même solitaire, tel qu’il apparaît dans BONE+ (1999). La pièce se veut une somme de variations « sur l’état interne de la performance » et présente de forts contrastes entre des portions souplement énergiques ou virtuoses et d’autres aux effets plus aérés, délicats.
Actuel directeur artistique de l’Ensemble Intercontemporain, Matthias Pintscher (1971) est avant tout violoniste et compositeur. Le cycle en cinq parties Figura (1997-2000), qui convoque des cordes disponibles dans un quatuor et/ou l’accordéon, naît de l’analyse de Giacometti (1901-1966), en particulier des sculptures tardives. Créé par Teodoro Anzellotti, Figura III (2000) capte l’oreille par son amorce cristalline. On apprécie ensuite son climat languide, voire désolé, dont une fébrilité frissonnante vient parfois contrarier le caractère méditatif.
Né lui aussi en 1971, Franck Bedrossian étudie avec ses pairs (Gaussin, Stroppa, Manoury, etc.), avant d’enseigner à son tour (Berkeley). Comme créateur, c’est la recherche sur le son qui le passionne avant tout, avec transformations et modelages, ce qui en fait l’héritier de Grisey et Lachenmann, deux autres de ses professeurs. Entre les naissances de Charleston (2005) et Twist [lire notre chronique du 16 octobre 2016] s’intercale celle de Bossa Nova (2008), pièce riche de la superposition des timbres et des harmonies, de l’opposition très rapide des différents registres. L’irisation ainsi créée place l’opus fascinant à la rencontre entre acoustique et électronique.
Étudiant à Moscou, sa ville natale, Dmitri Kourliandski (1976) est impliqué dans la défense de la création russe. Le reste du monde connaît sa musique et la France plus encore depuis sa résidence à l’Ensemble 2e2m, en 2010 [lire nos chroniques du 29 mars 2012 et du 8 octobre 2010]. Ennemi du stéréotype, à l’instar de Cage, Nono et Scelsi qui l’inspirent, le musicien prouve une fois de plus, avec Shiver (2010) dont la structure se complexifie à mesure, son goût pour brouiller l’identification de l’instrument émetteur.
Venu à Paris se perfectionner (Pesson, Naón, Maresz, etc.), le Brésilien Januibe Tejera (1979) se démarque par un travail influencé par différents univers : écriture théâtrale, tradition orale, psycho-acoustique, etc. [lire notre chronique du 4 décembre 2015]. Avec Tremble (2013), il met à l’épreuve l’endurance de l’interprète, ici tisseuse d’un fil bourdonnant proche du câble à haute tension, « perturbé, vibré, torturé » selon l’analyse de Jean-Étienne Sotty dans la notice. Par son aspect saturé, cette pièce est la dernière à nous émouvoir.
Terminons avec l’auteur de Limbus-Limbo, le bien connu Stefano Gervasoni (1962) [lire notre chronique du 4 décembre 2012 et notre entretien]. Grâce à un « instrument fascinant et mystérieux, populaire et cultivé, simple et raffiné » déjà présent dans Tornasole (2007) [lire notre chronique du 10 juin 2007], il conçoit Album di figurine doppie (2014) pour Fanny Vicens, huit mouvements qui alternent la réécriture de pièces existantes (personnelles ou non) avec d’autres inédites et denses, noyaux de créations à venir. Leur caractère est tantôt tendre (I), taquin (II) ou grognon (VII), tantôt désorienté (III) si ce n’est tragique (V), offrant une série d’historiettes pleine de vie.
LB