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Chroniques
Salvatore Sciarrino
œuvres variées
« En me consacrant à la composition, écrit Salvatore Sciarrino (né en 1947), j’ai toujours voulu porter le phénomène sensoriel à des limites extrêmes et contradictoires. L’une d’elles est la perception de l’imperceptible en soi, au point où son et silence se confondent. Je crois qu’avec la musique nous pouvons atteindre à une révélation du naturel en dehors de résidus sentimentaux, et être introduits à une véritable écologie de l’écoute » (in Il suono e il tacere (2004), traduit par Grazia Giacco et Laurent Feneyrou pour Silences de l’oracle, CDMC, 2013) [lire notre critique de l’ouvrage].
Un concert romain (14 avril 2007) puis un tokyoïte (17 janvier 2012) fournissent les trois pièces du présent programme, lesquelles datent de différentes périodes et sont gravées en première mondiale pour les deux plus anciennes. Avant d’être étendue pour Claudio Abbado sous le nom de Berceuse variata (1977), Berceuse est d’abord créée le 13 septembre 1969, à La Fenice (Venise). Quelques années après Minifuga (1965) qui inaugure un catalogue surprenant, cette œuvre divise un grand orchestre en quatre parties de forme variable – dans la lignée d’Ordini (1955) et Gruppen (1957), des compositeurs Franco Evangelisti et Karlheinz Stockhausen. Entre silences et menaces, Berceuse frémit tranquillement, tout au long de ses onze minutes qui doivent gagner à une écoute en concert.
Trente ans plus tard, la musique de Sciarrino s’est davantage orientée « vers une plus grande intensité expressive et une réduction de ses moyens ». Cantare con silenzio (Chanter avec le silence) trouve son titre dans une expression de Maddalena de' Pazzi, carmélite florentine du XVIe siècle, et nécessite six voix, flûte, électronique et percuteurs (percussori). La pièce voit le jour à Stuttgart, le 19 juin 1999, dans l’interprétation des Neue Vocalsolisten, de Mario Caroli et d’Alvise Vidolin, ici présents.
L’auteur de Luci mie traditrici [lire notre critique du DVD] y fait le choix de textes tournés « vers la perspective morale de l'individu, vers la subjectivité du temps et l'interaction entre la mort et la vie » (Gunzig, Serres, Stengers) et d’une électronique apte à « sortir les vibrations de leurs tanières, les amplifiant jusqu'à une dimension perceptible ». Cinq mouvements se succèdent, avec des narrations contrastés (accélérations, répétitions tournoyantes, lamentations, etc.) mais aussi la surprise de deux d’entre eux ponctués de « pierres battues » (on pense à Steine d’Eötvös) et d’un autre dédié à la flûte seule. Dans Intermedio. L’orologio di Bergson, celle-ci livre quelques traits perçants qui tranchent avec d’apaisants pépiements, hululements et soufflement venteux.
Libro notturno delle voci s’avère la plus récente des trois productions, que Beat Furrer présentait au public de Donaueschingen le 18 octobre 2009 – là encore avec Mario Caroli, son dédicataire. De cette œuvre en trois mouvements, qui débute par une opposition entre éclat du métal et mugissement des cordes, il nous restera le souvenir d’une flûte orientale qui surgit comme un cri, celui d’un Orchestre Philharmonique de Tokyo d’un calme vibrant d’inquiétude, sous la battue de Marco Angius.
LB