Chroniques

par laurent bergnach

Salvatore Sciarrino
Luci mie traditrici | Ô mes yeux trompeurs

1 DVD EuroArts (2012)
2059038
Salvatore Sciarrino | Luci mie traditrici

Créateur largement autodidacte – malgré quelques cours pris avec Antonio Titone, Turi Belfiore et Franco Evangelisti –, Salvatore Sciarrino (né à Palerme en 1947) s’intéresse très jeune à l’expérimentation musicale et aux arts visuels. Il est donc naturel que le résultat de ses recherches se soit exprimé à travers plusieurs œuvres théâtrales : Amore e Psyche (1972), Aspern (Singspiel, 1978), Cailles en sarcophage (Atti per un museo delle ossessioni, 1980), Vanitas (nature morte en un acte, 1981), Lohengrin (action invisible, 1982) [lire notre critique du CD], Perseo ed Andromeda (1990), Infinito nero (Estasi di un atto, 1998), Macbeth (2002), Da gelo a gelo (Kälte, 2006) [lire notre chronique du 23 mai 2007], La porta della legge (2008), Superflumina (2010), etc.

Composé à partir de 1996, l’opéra en deux actes Luci mie traditrici fut créé au Schwetzingen Festspiele le 19 mai 1998, sous le titre Die tödliche Blume (La fleur mortelle). Sciarrino s’inspire de la vie du compositeur Carlo Gesualdo (1566-1613), lequel tua sa première épouse et l’amant de celle-ci le 17 octobre 1590 – un ferment qu’il prolonge avec sa Terribile e spaventosa storia del Principe di Venosa e della bella Maria (1999), conçu pour les marionnettes siciliennes. Cependant, apprenant que Schnittke travaillait sur un projet similaire, l’Italien préfère supprimer toute allusion à leur confrère meurtrier et prend comme point de départ Il tradimento per l'onore (1664) de Giacinto Andrea Cicognini (1606-1651) et une élégie de Claude Le Jeune.

Pour qui souhaite faire de la musique « un contrepoint à la banalité de la vie », cette histoire d’un amour éternel juré au matin et parjuré à la nuit crée une tension toujours bienvenue sur une scène. Filmée au trente-cinquième Cantiere Internazionale d’Arte di Montepulciano (Toscane) à l’été 2010, saluée par Sciarrino lui-même, la mise en scène de Christian Pade emporte d’emblée notre adhésion, écrin délicat pour une œuvre dense, au livret aussi soigné que sont envoûtants les instruments à vents qui dominent et les personnages façonnés avec subtilité par un recitar cantando. Agnes Eggers signe la dramaturgie et Alexander Lintl les décors et costumes.

Émouvant mezzo, Nina Tarandek incarne La Malaspina, « déchirée entre deux rêves ». Le baryton Christian Miedl (Il Malaspina), que l’échange de serments amoureux rend palpitant de crainte, s’enhardit après les révélations de Simon Bode, personnage de domestique à qui ses paroles seront fatales. L’Invité, quant à lui, prend vie grâce au contre-ténor Roland Schneider. Les deux premiers chanteurs s’expriment sur ce projet coproduit avec Francfort dans un reportage de trente minutes qui offre aussi à Sciarrino l’occasion d’une analyse sommaire de l’ouvrage et à Marco Angius, en répétition avec l’Ensemble Algoritmo, d’évoquer les écueils de cette pièce (périlleux équilibre des timbres), en particulier.

LB