Chroniques

par laurent bergnach

Samuel Barber
Vanessa

1 DVD Opus Arte (2019)
OA 1289 D
Jakub Hrůša joue Vanessa (1958/1964), un opéra de Samuel Barber

Samuel Osborne Barber (1910-1981) fait partie de ces compositeurs que le grand public connaît pour une pièce qui cache le reste de leur production : le fameux Adagio pour cordes (1938) en l’occurrence – lequel est l’arrangement d’une portion de son quatuor de jeunesse en si mineur, Op.11 n°1 (1936) –, que le cinéma a contribué à rendre populaire dans son pays d’origine (Elephant man, Platoon, 300, etc.) comme outre-Atlantique (Les roseaux sauvages, Le fabuleux destin d’Amélie Poulain, etc.). Dans un cercle d’auditeurs plus restreint, le premier de ses trois opéras – Vanessa (New York, 1958), A hand of bridge (Spoleto, 1959), Anthony and Cleopatra (New York, 1966) [lire notre critique du CD] – participe également à la gloire de son auteur.

Librettiste de son confrère et compagnon, Gian Carlo Menotti puise le sujet dans Seven gothic tales (Sept contes gothiques, 1934) d’Isak Dinesen, pseudonyme de Karen Blixen qui ravivait là le style troubadour. L’ouvrage est présenté au Metropolitan Opera de New York, le 15 janvier 1958, avec succès. En effet, sa facture néoromantique ne défie pas le maccarthysme de mise, toujours soucieux d’associer modernité et communisme. Le prix Pulitzer lui est décerné la même année. Puis, la chaleur se faisant glace, Barber réduit la partition à trois actes, jouée au même endroit, le 13 mars 1964. Mais la passion du public est morte pour cet échange de destins entre une tante qui retrouve goût au bonheur et sa nièce qui s’étiole. Pour Louis Oster et Jean Vermeil, il reste néanmoins« une œuvre charmante, plaisante et sans prétention, plutôt traditionnelle avec son découpage en numéros » (Le charme opéra, Éditions Jean-Michel Laplace, 2005).

Pour sa part, Keith Warner ne s’arrête pas au sommet de l’iceberg. « Derrière Vanessa, affirme-t-il dans le reportage accompagnant une captation réalisée à Glyndebourne, en août 2018, il y a un tas d’ordures. La fange et la bassesse humaines. Mais la façade demeure toujours élégante. Il faut percer cette élégance pour fouiller en profondeur les noirs secrets de l’âme humaine ». Ici, des miroirs géants forment les murs du huis-clos, non seulement mouvants pour signaler les différents épisodes de l’histoire, mais aussi transparents à l’occasion, pour laisser entrevoir des bribes de souvenirs, joués sur scène ou filmés – l’impossible liaison de la Baronne et du Docteur, la dernière nuit d’Anatol et Erika, etc. Une fois planté le décor, une bonne direction d’acteurs donne une aura cinématographique à des personnages vêtus avec chic, filmés avec tact (François Roussillon).

Qui mieux que Menotti pour nous parler des protagonistes ? « Erika est l’idéaliste passionnée. Vanessa est plus humaine. Anatol est charmant : j’ai plein d’amis comme lui. Il est imaginatif, même si ce n’est pas un personnage très solide… La seule à être vraiment forte est la Baronne. Elle représente l’affirmation de la vie par-delà l’étiquette ; elle parle uniquement à qui accepte la vie pour ce qu’elle est » [traduction d’après la notice anglaise du DVD]. Et comment imaginer d’autres chanteurs pour les incarner ? Dans le rôle-titre, Emma Bell offre un soprano lyrique, tendre et animé. Discrète au départ, Virginie Verrez (Erika) gagne en puissance et épaisseur, avec bonheur. Rosalind Plowright (Baronne) est idéale. Chez le ténor Edgaras Montvidas (Anatol), on apprécie clarté, souplesse et charisme, tandis que Donnie Ray Albert (Docteur) réjouit par une sonorité ronde et chaude. William Thomas (Nicholas) et Romanas Kudriašovas (Valet) sont eux aussi bien distribués, complétant l’équipe avec le chœur maison.

Terminons par un mot sur le compositeur qui, afin de créer une mystérieuse tension au service du suspense, « subvertit sans arrêt une musique apparemment facile en introduisant des idées et structures musicales beaucoup plus complexes », selon l’analyse de Keith Warner. À la tête du London Philharmonic Orchestra, Jakub Hrůša maintient une expressivité continue, captivante, dans cet ouvrage bien présent au disque [lire nos critiques des CD Naxos et Chandos], qui apparaît seulement dans le monde du DVD.

LB