Chroniques

par laurent bergnach

Saverio Mercadante
Didone abbandonata | Didon abbandonnée

1 DVD Naxos (2019)
2.110630
Alessandro De Marchi joue Didone abbandonata (1823) de Saverio Mercadante

Trouvant son origine dans un concert de 1963, mais officiellement né en 1976, l’Innsbrucker Festwochen der Alten Musik (Festival de musique ancienne d’Innsbruck) a connu quatre directeurs : Otto Ulf (1963-1991), Howard Arman (1991-1996), René Jacobs (1997-2009) et, depuis 2010, Alessandro De Marchi. Claviériste de formation, le chef italien rappelle, dans la notice disponible de ce DVD, que la période couverte par le festival autrichien va de la Renaissance tardive (Peri, Caccini, Monteverdi) au Romantisme naissant (Donizetti, Rossini). Saverio Mercadante (1795-1870) appartient à cette dernière génération, auteur d’une soixantaine d’ouvrages lyriques, entre L'apoteosi d'Ercole (Naples, 1819) et Virginia (Naples, 1866) [lire nos chroniques de Zaira (1831) et d’Il Bravo (1839)].

Parmi ces derniers, Didone abbandonata, dramma per musica en deux actes présentés pour la première fois au Teatro Regio de Turin, le 18 janvier 1823, durant le carnaval. Naxos ne proposant pas de sous-titrage français au spectacle filmé au Tiroler Landestheater entre les 8 et 14 août 2018 [lire notre chronique du 10 août 2018], rappelons que l’histoire est celle d’Énée, prêt à quitter la ville de Catharge et sa souveraine. L’amour de ces deux-là, bientôt séparés par les rêves de gloire du Troyen, fait le malheur de Sélène, sœur de Didon, et de Jarbe, roi maure que la frustration rend menaçant. Cette intrigue vous rappelle quelque chose ? Normal, elle fut tissée par Métastase pour l’œuvre éponyme de Domenico Sarro (Naples, 1724) et maintes fois réutilisée, durant plus d’un siècle, par Porpora (1725), Vinci (1726), Galuppi (1741), Hasse (1742), Jommelli (1747) – pour ne citer que quelques noms parmi une cinquantaine.

Musicalement, ce début de XIXe siècle nécessitait l’intervention d’Andrea Leone Tottola, poète officiel des théâtre royaux de Naples, déjà associé à Mosè in Egitto (Rossini, 1818) avant de l’être à Elisabetta al castello di Kenilworth (Donizetti, 1829) [lire nos chroniques du 23 juillet 2017 et du 30 novembre 2018]. Comme l’explique Alessandro De Marchi : « un livret métastasien est une simple alternance de récitatifs et d’airs. Il y a très peu de duos, et un chœur unique chanté par tous les solistes à la fin. Recourir à une telle structure était hors de question pour Mercadante. Aussi Tottola fut-il chargé de moderniser le livret, c’est-à-dire insérer nombre de chœurs, duos, trios, sextuors, un grand finale à l’Acte I et un rondo à la toute fin » (traduction du chroniqueur).

Ayant condensé deux partitions autographes conservées à Turin et à Naples, le chef dirige sa propre formation, l’Academia Montis Regalis, avec un relief et une tension qui rendent l’opus plus intéressant que d’attendu. Sur scène évolue une autre équipe digne d’éloges. Dans le rôle-titre, le soprano Viktorija Miškūnaitė brille par des qualités multiples : justesse et précision imparables, grande longueur de voix, etc. Elle est entourée par deux mezzo-sopranos : l’efficace Emilie Renard (Selene) [lire nos chroniques de Giulietta e Romeo, San Giovanni Battista et Die Zauberflöte] et Katrin Wundsam (Enea), au chant sûr, fluide et impacté [lire notre chronique de Die Gezeichneten]. Côté masculin, on apprécie le ténor sonore et endurant de Carlo Vincenzo Allemano (Jarba) et celui de Diego Godoy Gutiérrez (Araspe), rond et nuancé malgré quelques notes tendues. Baryton-basse vaillant et ferme, Pietro Di Bianco (Osmida) complète la distribution avec les hommes du Coro Maghini de Turin, préparé par Claudio Chiavazza.

Reste à évoquer la mise en scène de Jürgen Flimm [lire nos chroniques de King Arthur, Idomeneo, Wozzeck et de Ti vedo, ti sento, mi perdo], s’appuyant sur des décors et costumes proches de notre siècle (Magdalena Gut, Kristina Bell). Sur une tournette très souvent en mouvement, chaises et alcool symbolisent la quiétude des premiers moments, avant la préparation du départ (malles et canoës) qui mène au déchaînement de violence final outrancier (Jarba massacre à tour de bras), dans une ambiance de chaos plutôt réussie. Malheureusement, trop de déplacements inutiles et d’interventions dispensables gâchent tout du long un travail qui aurait pu moins agacer.

LB