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Chroniques
Sergeï Prokofiev
Любовь к трём апельсинам | L’amour des trois oranges
Que retiendra-t-on de cette représentation amstellodamoise de l'opéra de Prokofiev, dans sa version française ? Quelques voix intéressantes, quelques incarnations drôles, et c'est à peu près tout. Mieux vaudra, en effet, oublier la sotte mise en scène que ce DVD donne à voir, ainsi que le mauvais film qu'il nous en montre.
Les voix ? Le Farfarello et le Héraut d'Alexander Vassiliev, d'abord un peu engorgés, finissent par s'ouvrir. Alain Vernhes est un Roi de Trèfle bien campé, au timbre ferme, à la diction idéale, offrant un chant parfaitement conduit. De même appréciera-t-on le français impeccable du Tchélio de Willard White à l'impact généreux. SI le bas-médium et le grave de Marcel Boone peinent dans le rôle de Pantalon, François Leroux emporte ici la palme de l'inaudible et de l'erreur de distribution – on se demandera longtemps comment celui qui chanta tant Pelléas, écrit pour un baryton aigu, crut pouvoir inscrire Golaud à son répertoire… Martial Defontaine donne un Prince avantageusement clair, toujours vaillant, mais sans grave du tout – qu'on écoute attentivement son Etrange destin… pour s'en convaincre. Richard Angas est une Cuisinière diablement efficace, touchante même. Quant aux princesses des oranges : Sylvia Kevorkian distribue une certaine couleur à Linette, Magali de Prelle prête la facilité de son aigu à Nicolette, tandis que Sandrine Piau accuse une raideur vocale assez cuisante en Ninette, la promise miraculée – on la connut en meilleur forme. Marianna Kulikova joue une Sméraldine attachante qui conduit joliment son phrasé, de même que Natacha Petrinsky honore sa Clarice d'une voix charnue, souple et pleine de possibilités. On félicitera particulièrement Sergeï Khomov pour son tendre et facétieux Trouffaldino, et surtout Anna Shafajinskaïa, irrésistible en Fata Morgana de grand cinéma, gentiment distanciée, livrant une voix agile à chacune de ses apparitions, énorme dans l'anathème, dotée d'une pâte ample et toujours égale. Enfin, s'il n'y a rien à en redire musicalement, on regrettera un Chœur du Nederlandse Opera pataugeant au petit bonheur dans une semoule française…
Il fallait s'y attendre : Laurent Pelly s'est une nouvelle fois contenté d'une approximation racoleuse usant d'une métaphore lourdingue. Toute l'action se concentre sur un univers de cartes à jouer, jusqu'à l'incohérence consistant à montrer les épreuves du Prince dans le même monde que la cour du Roi de Trèfle qu'il est censé quitter. Outre l'emploi surchargé de gags et de gadgets en tout genre, la plupart totalement prévisibles et, du coup, d'un ennuyeux affligeant, le recours à une gestique proche du mime qui donne le sentiment que les chanteurs s'y trouvent mal à leur aise, cette réalisation à la fois statique et agitée passe à côté du sujet. Rappelons-le, L'amour des trois oranges est l'histoire d'un prince écrasé par le père et ce pouvoir qu'il devra un jour exercer lui-même ; son initiation le confrontera à des énigmes, des malédictions, une cuisinière monstrueuses, etc. Mais Pelly s'en fiche : son travail n'est pas original, bien qu'il dise à chaque instant qu'il l'est, jusqu'à saouler le spectateur dans une narcissique futilité. Le résultat est sinistre, discrédite la fable elle-même dans cette harassante superficialité et, en n'admettant pas qu'une figure de la Commedia dell'Arte – Pantalon manifestement désolidarisé de ses origines – pût jouer un rôle de ministre, s'avère conservateur et respectueusement petit-bourgeois (il ne suffit pas de déplacer une bouteille d'eau minéral en plastique dans un cadre ultra esthétisant qu'on a soi-même construit pour dépasser les convenances !).
Au pupitre, Stéphane Denève conduit le Rotterdam Philharmonic dans une lecture contrastée et ferme qui tend parfois à la symphonie, au détriment de l'équilibre général. Cela dit, la fosse de l'Opéra d'Amsterdam est très ouverte, ce qui n'est pas simple à gérer, et la restitution sonore DVD brouille peut-être les cartes (…euh, pardon).
HK