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Chroniques
Sergueï Rachmaninov
Concerto Op.18 n°2 – Concerto Op.40 n°4
Poursuivant leur intégrale des concerti de Sergueï Rachmaninov entreprise chez Warner, Nikolaï Lugansky et Sakari Oramu livrent avec ce disque un dernier volume des plus réussis. Souvenez-vous : tout avait commencé il y a deux ans par un Concerto n°3 spectaculaire et un peu superficiel, côtoyant un Concerto n°1 d'une grande tenue, au point que les deux œuvres avaient soudain des difficultés à cohabiter sur la même galette. Quelques mois plus tard paraissait la Rhapsodie sur un thème de Paganini, considérée par certains commentateurs comme le Concerto pour piano et orchestre n°5 de Rachmaninov ; le tandem fonctionnait plus étroitement encore, affirmant une volonté commune de distancier le texte.
Voici maintenant les Concerti n°2 et n°4 dans une interprétation qui radicalise encore un peu plus cette option. Ceux qui demandent à un pianiste de s'épancher dans le possible sentimentalisme de ces œuvres seront immanquablement déçus à l'écoute de cette version. À l'inverse, ceux qui privilégient l'intelligibilité et la fidélité à la partition seront comblés par une approche dédramatisée – néanmoins jamais exclusivement analytique ni froide –, qui pour autant enterre bien profondément le socle sur lequel elle s'appuie. Lugansky fait venir de très loin les fameux accords qui ouvrent l'Opus 18, forçant l'écoute, et se garde d'en faire du théâtre.
De fait, la question se pose : connaissant l'état d'esprit qui était celui du compositeur lorsqu'il écrivit cette page, doit-on pour autant en surenchérir l'expression, partant qu'il suffirait peut-être de tout simplement lui faire confiance ? Le jeu en vaut la chandelle : soudain, la musique parle d'elle-même, sans la paraphrase d'inutiles effets de mèche. La sonorité est somptueusement soignée, on pourrait dire sculptée, par moment, le phrasé est toujours délicat, tandis que le souffle contient une énergie véritable qui sait ne pas folâtrer à tort et à travers. En parfaite adéquation, Sakari Oramu illumine les pupitres du City of Birmingham Symphony Orchestra, dosant savamment chaque effet en ne perdant jamais de vue qu'ici, le soliste est roi.
Le moins aimé Opus 40 est particulièrement avantagé par la clarté de cette interprétation, parvenant comme aucune autre version à magnifier la relative complexité orchestrale du premier mouvement. La vision de Nikolaï Lugansky se fait ici plus légère encore, laissant chacun y voir ce qu'il veut, mais sans doute pas y entendre autre chose que ce qui est écrit. L'accompagnement semble alors s'effacer, le laissant orchestrer son piano, ciseler des sonorités subtiles, et porter haut le chant, comme par exemple dans le Largo central. C'est une version somptueusement architecturée qu'il nous offre aujourd'hui, par là même très personnelle.
BB