Chroniques

par laurent bergnach

Serge Diaghilev
Mémoires

Hermann Éditeurs (2007) 128 pages
ISBN 978-2-7056-6620-0
Serge Diaghilev | Mémoires

Quelques mois avant sa mort, survenue à Venise le 19 août 1929, Serge Diaghilev se détourna du ballet qui avait été toute sa vie pour s'intéresser aux livres. Insensiblement, les moments consacrés jadis aux entretiens amicaux et artistiques se muèrent en moments de solitude, en compagnie de quelque catalogue de marchand d'ouvrages anciens. Selon Boris Kochno, alors son secrétaire, c'est à cette époque qu'il écrivit sur une quarantaine de fiches de cartons ce qui deviendrait ses Mémoires. Les Ballets russes y sont moins présents que les évocations d'un passé lointain, en terre natale.

« Lui qui, hanté par son âge, se détournait des miroirs – écrit le précieux collaborateur– et interdisait à ses amis les plus proches de le photographier ou de peindre son portrait, en parlant de sa propre jeunesse semblait sourire à celui qu'il avait été au début de ce siècle : un novice passionné, singulièrement beau, déjà marqué par une mèche de cheveux gris qui, plus tard, fit partie de sa légende ».

Né le 19 mars 1872, ce fils d'un officier de l'armée du Tsar lié avec Moussorgski, Tchaïkovski et Leskov, d'abord critique d'art puis impresario, a côtoyé des figures légendaires de l'art russe – parfois en villégiature en France. Dans ces pages, il fait revivre Chaliapine lors de sa première apparition à Paris, Rimski-Korsakov sermonnant le jeune Stravinsky ou donnant son avis sur Debussy et Strauss, Anton Rubinstein en son ultime récital, la sœur de Glinka, mais aussi Massenet, Ravel ou Puccini. Entre deux souvenirs de productions personnelles (Boris Godounov en 1908, Khovantchina en 1913), Diaghilev envoie quelques flèches à des chanteurs (Reszké, Van Dyck, Iakovlev, etc.) et à des commentateurs imbéciles ou, au contraire, évoque avec émotion la veillée mortuaire chez Tchaïkovski.

Connues des spécialistes – le manuscrit original se trouve actuellement à la Bibliothèque national de l'Opéra de Paris, appartenant au Fonds Kochno –, ces Mémoires n'avaient jamais été publiées. Voilà un oubli aujourd'hui réparé, et le plus sérieusement du monde puisqu'à la traduction non exempte de fautes du secrétaire, Guillaume de Sardes – responsable de l'édition, et déjà l'auteur d'un ouvrage sur Nijinski – a préféré une nouvelle transcription.

LB