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Chroniques
Serge Martin
Gerard Mortier – L'opéra réinventé
Parcours musique, nouvelle collection dirigée par le critique musical Serge Martin, souhaite faire connaître et aimer cet art à travers les divers métiers et personnalités qui le font vivre. Aujourd'hui, c'est le parcours de Gerard Mortier qui nous est proposé. L'homme naît à Gand le 25 novembre 1943, dans une Flandre tout à la fois cléricale, paysanne et marchande. Ses humanités chez les pères jésuites lui apportent des références classiques autant qu'un regard sur la culture allemande, tandis que sa fréquentation hebdomadaire du Nouveau Théâtre de Gand le mène peu à peu à l'Opéra. Dans les années soixante, étudiant en droit et en communication, on le retrouve spectateur dans des lieux européens incontournables. Puis ce sont les années de formation au métier de directeur artistique, notamment en Allemagne, de 1972 à 1979, qui le conduiront à La Monnaie (1981-1992), à Salzbourg (1992-2001), puis à inventer la Ruhr Triennale (2002-2004) avant de devenir, depuis septembre 2004, directeur de l'Opéra national de Paris. Rappelons que Mortier ne découvre pas la grande boutique puisqu'il y fut chargé de mission sous Liebermann et Gall de 1979 à 1981 et participa activement au projet de l'Opéra Bastille.
Pour qui souhaiterait mieux connaître l'engagement anticonformiste d'un pape de la culture, ce livre revient en détail sur les collaborations du Gantois (avec von Dohnányi et Cambreling, notamment), mais surtout sur La méthode Mortier : changer les modes de fonctionnement des théâtres pour les optimiser avant d'amener des bouleversements artistiques – comme encourager le répertoire du XXe siècle principalement, avec des commandes à Adams, Boesmans, Laporte, etc. Du coup, les réticences éclatent de la fosse au poulailler et le rénovateur, ranimant quelques blessures d'amour propre, rappelle nombre d'accusations plus ou moins fondées, de même que certaines tentatives avortées. On rêve à ce qu'auraient pu donner Domingo en Peter Grimes, Woody Allen à la tête de Così, et l'on souhaite vraiment que Keenlyside aille au bout du projet Wozzeck ou que Hans-Peter Kyburz se laisse convaincre d'écrire un opéra.
À l'aube de sa troisième saison parisienne, Gerard Mortier peine encore à emballer un public dont il semble se lasser. Il dit le Français râleur, conservateur, et n'en peut plus des journalistes douteux – on peut le comprendre, déjà que certains n'arrivent pas à orthographier son prénom ! Cet ouvrage bienvenu pourrait-il réconcilier tout ce petit monde ? On en doute ; car indépendamment de son travail, cet humaniste polyglotte, petit dormeur, grand lecteur, agace autant qu'il séduit en se trouvant continuellement au cœur de batailles de chiffres (avec Arte, tout dernièrement) et de situations ambigües. Un seul exemple : comment peut-on réserver l'exclusivité de sa nouvelle saison à la Presse Musicale Internationale et refuser ensuite l'accès de sa salle à certains de ses membres ? On songe à cette nouvelle de Jean Ray dans laquelle un châtelain se plaint du manque d'amis alors qu'il a lui-même attaché un dragon au pont-levis, et on se dit que la nature humaine n'en finit pas d'étonner.
LB