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Chroniques
Sergueï Prokofiev
Огненный ангел | L’ange de feu
Plus proche des symbolistes que des futuristes, Prokofiev trouve matière à un nouvel opéra dans l’œuvre de Valéri Brioussov (1873-1924) éditée en 1908, introduite par ces mots : « L’Ange de feu, ou roman véridique, où l’on parle du diable qui est maintes fois apparu à une jeune fille sous les traits d’un esprit de lumière, l’a séduite et poussée à commettre des actes de péché, où l’on parle de pratiques magiques sacrilèges, de l’astrologie, de la goétie et de la nécromancie, du procès de la jeune fille présidé par son Éminence l’archevêque de Trèves, et aussi des rencontres et des conversations entre le chevalier et le trois fois docteur Agrippa von Netterheim et le docteur Faust, roman écrit par un témoin » (in Michel Dorigné, Serge Prokofiev, Fayard, 1994).
D’emblée, l’appellation « roman véridique » attire notre attention sur un antagonisme puisqu’un roman – contrairement à un récit – s’affirme comme une pure invention. Brioussov se présente comme découvreur et traducteur d’un manuscrit allemand du XVIe siècle, mais il sait que le lecteur, même ignorant la réalité de l’ésotériste Netterheim (1486-1535), connaît la fictivité de Faust. Nous sommes donc dans un univers fantastique et caustique, lequel avait tout pour plaire à l’auteur qui venait d’achever L’Amour des trois oranges [lire nos chroniques des 5 mai 2010, 1er décembre 2005 et 29 octobre 2003]. Prokofiev y travaille entre 1919 et 1927, pendant les années d’exil, et ne verra jamais l’ouvrage joué. En effet, la première a lieu en 1954, à Paris et en langue française, un an et demi après sa mort. Nous le découvrons dans une production mise en scène par Emma Dante [lire nos chroniques de Macbet et de Cavalleria rusticana], filmée au Teatro Costanzi de Rome, le 23 mai 2019.
Femme au désir chaotique manipulée à part égale par le divin et le malin, Renata s’y trouve à la frontière de la vie et de la mort. Des niches de catacombes dominent l’espace par leur hauteur, tantôt occupées par des créatures mouvantes (spectres réels ? simples visions ?), tantôt par des momies rappelant la crypte des Capucins à Palerme. Tandis que Carmine Maringola signe les décors et Vanessa Sannino les costumes, Manuela Lo Sicco chorégraphie les nombreuses interventions de l’Ange, la pantomime d’Heinrich mais aussi les simagrées des religieuses qui épuisent notre patience à partir de l’Acte III. Ce travail peu inspiré a l’avantage de la lisibilité, à condition d’avoir déjà une bonne connaissance du livret – d’autant que le DVD ne propose pas de sous-titrage en français.
Si l’on ajoute à ces faiblesses la direction peu galvanisante d’Alejo Pérez, en fosse avec Orchestra del Teatro dell’Opera di Roma, il ne reste que la distribution vocale pour susciter l’intérêt d’un bout à l’autre de ces deux heures de spectacle. Chez les dames, on apprécie le soprano impacté et lyrique d’Ewa Vesin (Renata), bien sûr, mais aussi le mezzo-soprano aux graves enveloppants de Mairam Sokolova (Diseuse de bonne aventure, Mère supérieure) [lire notre chronique de L’enchanteresse].
Chez les barytons, on aime l’articulation de Leigh Melrose (Ruprecht) [lire nos chroniques d’Albert Herring, Songs from Solomon's Garden, The rape of Lucretia, Solaris, Renard, Gloriana, Fin de partie et Der Schmied von Gent], l’ampleur d’Andrii Ganchuk (Faust, etc.) [lire notre chronique d’Anna Bolena] et la santé de Petr Sokolov (Wiessman) [lire notre chronique d’Il viaggio a Reims]. Les ténors se distinguent également : Sergueï Radchenko (Nettersheim), avec son assise grave et ses riches harmoniques, Maxim Paster (Méphistophélès) amusant à souhait [lire nos chroniques de Rouslan et Lioudmila, Wozzeck, Tannhäuser, La fille de neige et Boris Godounov], ainsi que Domingo Pellicola (Glock), au chant clair et frais. Enfin, n’apparaissant qu’au dernier acte, Goran Jurić (Inquisiteur) offre une basse solide et stable qui renforce le charisme d’un personnage éminemment haïssable [lire nos chroniques de Lady Macbeth de Mzensk, Les Indes galantes, Mosè in Egitto et Lohengrin].
LB