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Chroniques
Sergueï Rachmaninov – Igor Stravinsky
pièces pour piano
Toujours disposés à entendre de nouveaux pianistes, nous vous présentons le premier enregistrement du jeuneWen-Yu Shen, né en Chine il y a un peu plus de dix-sept ans, lauréat du concours de Shanghai à l'âge de dix ans, puis de celui d'Ettlingen quelques mois plus tard, celui de Kitzingen, avant d'emporter un second prix au prestigieux Concours Reine Elisabeth au printemps dernier. C'est le répertoire russe que ce virtuose a choisi d'honorer pour le label belge Cyprès dont on saluera l'esthétique, ici une affiche de 1929 signée Alexis Kow pour le Grand Prix Automobile du Cap d'Antibes et de Juan les Pins.
Dès la déferlante qui ouvre l'Allegro agitato de la Sonate en si bémol mineur Op.36 n°2 de Sergueï Rachmaninov, on observe une sonorité des plus éclatantes. C'est opulent, et même un brin sucré, tout en manquant d'une certaine folie. Il n'y a rien à redire : tout y est, la dynamique est irréprochable, la saveur de même, mais sans démesure ni profondeur. Dans le mouvement suivant, la nuance est en général savamment dosée, mais l'interprétation demeure superficielle. Cette page demande une plus âpre gravité, et ne saurait se contenter d'une nonchalance oisive et futilement triste, sans plus. Par exemple, quelque chose de l'ordre de l'ennui et de ses lourdeurs spiralées fait défaut. L'Allegro molto reste plutôt scolaire, sans la fulgurance souhaitée ; c'est trop sage, timide, et presque sans souffle. On garde en mémoire les interprétations très différentes et plus personnelles de Károly Mocsári (20 juillet 1998, Montpellier), Ilya Itin (27 mars 1998, Théâtre du Châtelet) et, bien sûr, de Nikolaï Luganski (5 août 1999, La Roque d'Anthéron).
Suivent quelques pièces brèves : le Prélude en sol majeur Op.32 n°5, joué avec plus de bonheur. Ici, la phrase papillonnante bénéficie d'une tendresse et d'une délicatesse tout en demi-teinte ; du coup, c'est presque debussyste. Le Prélude n°10 nous fait dire que les petites formes conviennent mieux à Wen-Yu Shen : le climat est entretenu du début à la fin, le musicien s'y montre discret mais indéniablement présent, et réussit un beau travail de couleur. Une tendance à l'effacement devrait orienter ce pianiste vers d'autres choix de compositeurs. Le n°12 est mélancolique à souhait, sans jamais se teinter d'un véritable pathos, dans un bon dosage. En revanche, son interprétation de l'Étude-Tableau en ré majeur Op.39 n°9 n'évoque rien, et se soumet à des exigences métronomiques qui la rendent peu séduisante.
Parmi les nombreuses transcriptions que Rachmaninov réalisa, on trouvera ce Vol du Bourdon de Nikolaï Rimski-Korsakov que Wen-Yu Shen joue avec beaucoup d'esprit, un grand raffinement, et une virtuosité époustouflante, tout en différenciant admirablement les plans sonores.
Enfin, c'est dans les trois mouvements extraits du ballet Petrouchka d’Igor Stravinsky qu'on appréciera au mieux ce jeune musicien : il en donne une lecture globalement équilibrée. Dans le détail : la Danse russe est magnifiquement percussive, tout en ménageant des moments plus lâches ; la seconde partie rend assez bien compte de la version originale pour orchestre, et cette interprétation installe le climat propice à l'énigme ; enfin, la Semaine grasse jouit d'une réalisation brillamment colorée, mais la sonorité d'accordéon reste à inventer. Cette partie nous invite à écouter, dès que possible, Wen-Yu Shen dans un programme peut-être plus moderne...
BB