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Chroniques
Simon Gallot
György Ligeti et la musique populaire
Musicien protéiforme (pianiste, chanteur, intervenant à l’université Lumière-Lyon 2), Simon Gallot étudie notamment à la Hochschule de Hambourg où il rencontre György Ligeti auquel il consacre son mémoire. Alors qu’il termine à ce jour la rédaction d’entretiens entre le compositeur et le musicologue Francis Bayer, paraît un ouvrage éclairant les origines du style de celui qui, en 2000, livrait avec Sippal, Dobbal, Nadihegedüvel (Sifflets, tambours, violons-roseaux) pour mezzo et quatre percussionnistes son ultime partition – laquelle s’inspire, comme certaines autres de la fin des années quarante, de poèmes de l’incontournable Sándor Weöres (1113-1989).
Souvent occultées en Occident, les années hongroises de Ligeti (1923-2006) tissent la toile de fond de son univers sonore grâce à une connaissance concrète de la musique populaire. « Dès l’âge de trois ans, rappelle György Kurtág en préface à cette étude, le folklore hongrois et roumain l’entourait comme une réalité vivante. Tout petit, en vacances à Csíkszereda […], il entendit le bucium (cor des Alpes roumain) dans les montagnes transylvaines. » C’est l’harmonique naturelle de l’instrument que retrouve le solo de cor du troisième mouvement du Concert românesc (1951), comme les cors obligés du Hamburgisches Konzert (1999).
Dans une région riche en cultures séculaires, où la vie sociale est rythmée par la musique, comment échapper aux disques de jazz des parents, aux mélodies d’une jeune cuisinière campagnarde ou aux morceaux des Tsiganes qui résonnent dans un bar tout proche ? Comment, convaincu d’un avenir de compositeur et à l’instar de Bartók et Kodály, ne pas prendre la route et transcrire les notes entendues dans des villages ou déjà enregistrées sur cylindres de cire ? C’est tout cela que Ligeti et sa femme Vera quittent en décembre 1956, quelques semaines après l’invasion de Budapest par l’Armée rouge.
Grâce à Gallot qui, partitions manuscrites et traductions originales à l’appui, revient aux sources d’un parcours artistique, nous découvrons l’éclosion d’une veine popularisante qui se heurte à la dictature soviétique, une continuité entre deux époques de vie que l’on imaginait moins perméables ainsi que les traces plus ou moins marqués d’influences régionales (mais pas seulement) chez qui revendiquait le « folklore synthétique » – pour reprendre une expression chère à Bartók – de certaines de ses œuvres aux titres d’ailleurs cosmopolites. Le traitement de son sujet s’avère passionnant en plus d’être fort documenté.
LB