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Chroniques
Simon-Pierre Perret – Marie-Laure Ragot
Paul Dukas
Rendu populaire grâce à un Apprenti sorcier qu'immortaliserait Walt Disney, Paul Dukas est par ailleurs bien mal connu. Et pour cause : enfant d'une sensibilité extrême se réfugiant dans la bouderie plutôt que dans la révolte, l'homme qu'il devient cultive le repli sur soi, la discrétion, voire le mystère – « Je ne dois au public que mes ouvrages » dit-il, hostile même au portrait photographique. La perte successive de nombreux proches explique en partie une certaine mélancolie : sa mère tout d'abord (en 1870, alors qu'il n'a que quatre ans et demi), son frère Adrien (1907), Albéniz (1909), son père (1915), Debussy (1918), l'éditeur Durand (1928), d'Indy (1931), jusqu'à Jean Cartan, étudiant prometteur, mort de tuberculose (1932). En même temps – et au point qu'on ne le reconnaît pas –, le sauvage s'épanouit au cours d'agapes amicales propres à l'échange culturel, loin de toute médiocrité. Paradoxal aussi est ce contraste entre l'homme présenté dans sa tour d'ivoire, sur lequel on imagine ne rien apprendre, et le musicien dont Simon-Pierre Perret rapporte la carrière en détail, dans un style très vivant, et presque au jour le jour en ce qui concerne la course au prix de Rome ou les années Ariane et Barbe-Bleue – des discussions avec Maeterlinck et Georgette Leblanc (le rôle-titre) jusqu'à l'accueil par la presse, les confrères, la cabale et les Chevalier d'Ariane.
Né en 1865, au moment où s'esquisse le renouveau de la musique française, Dukas est un élève médiocre qui peine à rendre un travail dans les délais imposés. Se sentant prédestiné à une carrière musicale – « je tétais ma nourrice en mesure (à 9/8) » –, il préfère se concentrer sur la composition. On l'inscrit au Conservatoire mais, là encore, l'enseignement ne l'intéresse guère. Trois ans après son inscription, son professeur d'harmonie Théodore Dubois note avec indignation : « Nature très ordinaire. A en horreur les études scholastiques. Chaud partisan de la nouvelle école. Ne lit que Wagner. Compose mais ne sait pas écrire ». À l'époque, Dukas admire aussi Gluck, Berlioz et Beethoven – nom qui reviendra souvent dans les analyses de sa musique.
Éternel insatisfait, Dukas a peu publié ; en deuxième partie d'ouvrage, commentant les œuvres léguées à la postérité, la musicologue Marie-Laure Ragot en recense moitié moins que celles qui furent perdues, détruites ou avortées. Pourtant, les activités musicales ont occupé l'homme toute sa vie, dont certaines – sa réputation grandissant plus vite que son capital - acceptées par simple instinct de survie : transcriptions pour piano (La Walkyrie, Samson et Dalida, etc.), révisions, orchestration, cours au Conservatoire, inspections abrutissantes en Province, jusqu'aux jugements confidentiels ou publics (art fané de Chausson, style mondain de Gounod, ordure à la Paladilhe…) développés par une activité de critique qui le replonge dans les angoisses scolaires et finiront par être empreints de la nostalgie du passé. La guerre ayant alimenté son spleen, Dukas détruit la majorité de ses papiers avant de s'éteindre en 1935, et écrit : « Je suis content de n'avoir plus d'avenir et le présent me semble un chaos d'où doit sortir un monde avec lequel nous n'aurons rien à faire ».
LB