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Chroniques
Simone Movio
œuvres variées
Né en 1978, l’Italien Simone Movio étudie au conservatoire d’Udine avant d’enrichir sa pratique, entre 2004 et 2009, auprès de confrères plus âgés, lors de différents séminaires et master classes européens : Stefano Gervasoni [lire notre entretien], Pierluigi Billone mais surtout Beat Furrer dont l’apport est fondamental. Par la suite, et bien avant d’intégrer le festival Présences [lire notre chronique du 8 février 2016], on put entendre en France Zahir III pour saxophone baryton et électronique en direct (Paris, 2011), une pièce venant couronner sa formation à l’Ircam.
En 2014, Movio reçoit le Komponisten-Förderpreise de la fondation Ernst von Siemens et voit le label col legno publier une monographie, Tuniche, comme il l’avait déjà fait avec Parra, Hefti ou Moussa [lire notre critique du CD]. Elle comprend quatre pièces d’un catalogue riche d’une trentaine d’opus, amorcé en 2001 avec Della vita anteriore – cinq minutes de musique pour alto et piano, deux instruments très présents dans les premières années d’écriture, avant que les vents s’imposent.
Avec ses cinq instruments alla Pierrot (flûte, clarinette, violon, violoncelle, piano), Di fragili incanti (Zürich, 2007) est l’œuvre « dense » du programme, la plus courte et la plus ancienne. Comme l’écrit Markus Böggermann dans la notice de ce CD, la musique du Frioulan touche à l’essence du rêve, avec des réminiscences éthérées, des changements de forme ou de direction qui n’impliquent pas forcément le développement. Des sons épars et périphériques offrent leur fragilité, notamment durant le premier quart, avec une douceur qui n’empêche pas la tension – celle-ci s’incarne pleinement dans quelques rares mécaniques énervées. Une minute avant la fin, une petite chanson simple semble le but du voyage enfin dévoilé.
… come spirali… (Graz, 2009) explore une idée borgésienne : si tout est présent à chaque instant, alors la nouveauté est liée à l’oubli. À l’instar d’un labyrinthe, l’œuvre part d’un matériau réduit (saxophone, violon, percussions, piano) et multiplie des chemins familiers, empruntés dans l’autre sens ou avec un regard changeant. Ici aussi, la tendresse et la richesse timbrique (distorsions, saturations, oxydations) absorbent l’auditeur dans un univers où la moindre saillie devient événement.
Alors que le cycle des Incanti grandit au fil des ans – « sorte de rêve ensorcelé, confie Movio, à la fois innocent et sous tension » –, retournons à Incanto III (Santiago de Compostela, 2012), page d’une vingtaine de minutes pour saxophone ténor, percussion et piano. Envoutante par sa douceur et l’impression d’une imbrication des timbres liée aux jeux de relais, celle-ci trahit un impératif à dire, sans toutefois laisser percer le mystère. Voilà qui rappelle combien Adorno tenait à l’aspect religieux du langage musical, « à la fois précis et caché », « tentative humaine […] d’énoncer le Nom lui-même, au lieu de communiquer des significations » (in Quasi una fantasia, Gallimard, 1963).
Si Zahir I (2010) repose sur quatre cordes, Zahir V (Capua, 2014) réunit quatre saxophones en un cycle trouvant son nom dans la nouvelle de Borgès, El Zahir (1947). Une nouvelle fois, on nous parle obsession, répétition, sorcellerie puisque si El Aleph (1945) évoque un point d’où s’observe toute chose de l’univers, un zahir – être ou objet croisé pour notre malheur – finit par occuper à lui seul toutes nos pensées. Après Andreas Eberle et un Klangforum Wien à la précision redoutable, c’est au tour des Espagnols de SIGMA Project de magnifier le travail de Simone Movio. Dans une instabilité confortable, des chemins, des escaliers sans but mènent à une fausse fin, là où se découvrent des vestiges fantomatiques.
LB