Chroniques

par hervé könig

Sofia Goubaïdoulina – Giya Kancheli
concerti pour alto

1 CD Deutsche Grammophon (2002)
471 494-2
Goubaïdoulina – Kancheli | concerti pour alto

Né en Russie en 1953, éduqué au Conservatoire de Moscou par Vadim Borissovski et Fedor Droujinine – avant de remporter le Concours International de Munich et de vivre une immense carrière de soliste –, l'altiste Yuri Bashmet a inspiré des compositeurs qui écrivirent pour lui, comme tout récemment Alexandre Raskatov, et bien sûr les auteurs des pièces gravées sur le présent enregistrement.

Bashmet émit comme souhait particulier que Giya Kancheli lui ménageât « de longues mélodies » (d'ordinaire, celles-ci sont concises chez le compositeur, à peine développées) ainsi qu'une « conclusion puissante et sonore ». Répondant à cette demande, il lui écrivit Styx en 1999. Tel le fleuve infernal, frontière entre le monde des vivants et celui des morts, l'alto sert de médiateur entre le chœur et l'orchestre de cette pièce. C'est son centre névralgique. « Grâce à la richesse de son timbre et à sa profonde expressivité, explique Kancheli,l'alto est véritablement prédestiné à apporter à notre âme réconciliation, paix et harmonie ». Sans doute est-ce dans un esprit d'apaisement qu'est évoqué, dans le chant du chœur, le nom d'Alfred Schnittke, référence importante pour les deux hommes.

La lecture proposée ici est plutôt dépouillée, parfois hiératique. On peut y entendre certains traits obstinés proches de Carl Orff, avec une succession de phrases méditatives jouées piano et des cassures violentes en tutti d'orchestre assez déroutantes. Valery Gergiev à la tête de son Orchestre du Théâtre Mariinski et du Chœur de Chambre de Saint-Pétersbourg (préparé par Nikolaï Kornev) en donne une version d'une grande spiritualité.

Quand il parle de Sofia Goubaïdoulina, Yuri Bashmet évoque Shakespeare. Pour lui, il y a chez eux le même questionnement sur l'humain : naissance-mort, amour-haine, laideur-beauté… « Il émane du Concerto pour alto,ajoute-t-il, une fraîcheur qui invite à pénétrer toujours plus loin dans ses mystères ». Dans cette composition, Goubaïdoulina joue sur la liberté de l'interprétation. Ici et là, elle introduit une grande souplesse métrique ; dans certains passages elle abandonne la notation traditionnelle de hauteur de sons au profit d'un graphisme vague, laissant à l'interprète le soin de le formuler en sons. Le timbre particulier de l'instrument est exploité dans ses moindres facettes – sonorités généreuses du grave, lumière diffuse de l'aigu –, qui donne à l'alto, comme pour l'œuvre de Kancheli, une place et un rôle intermédiaire entre deux mondes.

Ce Concerto pour alto et orchestre composée en 1997 paraît nettement plus intéressant musicalement que Styx. On peut y percevoir une écriture beaucoup plus subtile qui ne se limite jamais à la seule efficacité de certains effets. Elle rappelle parfois le très bel Offertorium pour violon et orchestre. Gergiev s'y montre plutôt analytique, en tout cas précis et fidèle.

HK