Chroniques

par laurent bergnach

Sofia Goubaïdoulina
pièces avec cordes

2 CD Atma Classique (2015)
ACD2 2689
Le Quatuor Molinari joue Sofia Goubaïdoulina (née en 1931)

Née en 1931, Sofia Goubaïdoulina grandit à Kazan, capitale de l’actuel Tatarstan où elle apprend le piano et commence à composer, avant d’intégrer le conservatoire de Moscou. La trentaine passée, elle y obtient son diplôme de fin d’études, bien que ses choix esthétiques inquiètent un jury encore sous l’œil sévère de l’Union des compositeurs. Soucieuse d’innover, elle multiplie les expériences telles l’écriture pour le cinéma, l’approche de l’électroacoustique ou la fondation de l’Ensemble Astreya (1975), un groupe de musique traditionnelle et improvisée sur des instruments rares aux timbres méconnus (Asie, Caucase, etc.). La Russie en dégel lui permet d’accompagner une avant-garde digne d’intéresser l’Occident (avec Schnittke, Pärt ou Denissov) ; mais le sérialisme s’avère une source d’enthousiasme sans être le territoire où elle souhaite vivre, sans doute parce qu’il est incompatible avec sa préoccupation du symbolisme chrétien ou les idées mystiques.

Si, à l’instar de tant d’autres, elle livre au piano ses toutes premières recherches (Chaconne, Sonate, Musical toys, etc.), cette admiratrice de Chostakovitch se penche sur les cordes dès 1971 – c’est d’ailleurs un concerto pour violon, Offertorium (1981/1986), qui lui assure une reconnaissance internationale [lire notre chronique du 25 juin 2009]. La première partie de ce programme chambriste permet l’écoute de quatre quatuors d’un mouvement unique écrits sur une quinzaine d’années, complétés par Reflections on the theme B-A-C-H (2002), commande des Brentano pour compléter un des dix mouvements de Die Kunst der Fuge.

De son propre aveu pessimiste, le Quatuor n°1 (Cologne, 1979) cultive « la désintégration et la dissociation ». Des segments variés s’y succèdent, qui disent le mal-être (inquiétude, plainte), parfois la franche récrimination (« sirènes », cris agités), mais sans aller jusqu’à la noirceur totale, grâce à de timides clairières çà et là. D’une envergure moindre, le Quatuor n°2 (Kuhmo, 1987) poursuit ce travail, dans le fond et la forme ; tout d’abord lancinant et instable, il amorce un climat lyrique pour un semblant d’apaisement final. Pour sa part, le Quatuor n°3 (Edimbourg, 1987) fait régner le jeu senz’arco : dans sa première moitié, une pluie de pizz’ d’abord délicats et apaisants, puis plus fiévreux et lourds, laisse place à d’amples surfaces expressives, comme autant de flaques mélancoliques reflétant la couleur du sol et du ciel. Enfin, le Quatuor n°4 (New York, 1994) livre frémissements et mijotements mystérieux. La recette se tient-elle dans les trente dernières secondes ?

Goubaïdoulina aime associer les cordes à d’autres instruments, tel l’accordéon [lire notre critique du CD] ou un piano plus traditionnel, comme avec son Quintette (Moscou, 1958) qui doit beaucoup au chef de file de la musique soviétique (harmonie, rhétorique, textures, etc.) en y mêlant une fantaisie toute personnelle – « Elle chante comme Schubert, écrit Robert Rival dans la notice, alors que Chostakovitch vocifère comme Beethoven ». Louise Bessette rejoint l’excellent Quatuor Molinari (fondé en 1997) pour quatre mouvements joyeux, goguenards et pugnaces où le grincement n’est jamais loin, à l’exception d’un Larghetto sensibile plus intérieur. Le programme s’achève avec un magnifique Trio à cordes (Paris, 1989), globalement mystérieux et aéré, et Freue dich ! (Kuhmo, 1988), sonate pour violon et violoncelle inspirée par une parabole du philosophe ukrainien Grigori Skovoroda (1722-1794).

LB