Chroniques

par hervé könig

Soghomon Komitas
mélodies arméniennes et allemandes

1 SACD Audite (2006)
92.570
Soghomon Komitas | mélodies arméniennes et allemandes

La France fête actuellement l'Arménie, ce qui invite le mélomane à découvrir ou redécouvrir un compositeur encore trop rarement programmé. Si l'on se souvient des quelques danses jouées par Sokolov lors d'un récital au Théâtre des Champs-Élysées, on aura bien du mal à trouver où entendre en live cette musique d'une infinie sensibilité. Souhaitons que ce fort beau disque dans lequel Hasmik Papian chante l'arrivée du printemps, le ciel qui ne neigera pas, les amours du ruisseau ou encore la plainte saisissante de l'enfant sans foyer, subtilement accompagnée par Vardan Mamikonian au piano, invite les oreilles – qui ne manqueront pas d'être émues par l'omniprésente mélancolie de cet univers – à s'approcher un peu plus de Komitas. Voici quelques éléments biographiques qui l'accompagneront dans sa quête. Quant à nous, tâchant de saluer à notre façon tant l'excellence de cet enregistrement que l'événement qu'il représente, nous le distinguons naturellement d'une Anaclase !

Fierté du peuple arménien, apprécié par Vincent D'Indy, Gabriel Fauré ou encore Camille Saint-Saëns, Soghomon Soghomonyan Komitas est né le 26 septembre 1869 à Ketaia, petite ville de l'Ouest de l'Anatolie, réputée pour sa céramique. Sa mère tisseuse de tapis et son père cordonnier disparaissent successivement, le laissant orphelin à l'âge de onze ans. Par chance, il a hérité des dons vocaux paternels, et un prêtre qui se rendait au séminaire du Saint Siège d'Etchmiadzine le choisit parmi d'autres enfants. Là-bas, il étudia sa langue d'origine – il parlait le turc – et devint moine, puis prêtre. C'est l'époque où il choisit de se nommer Komitas, du nom d'un poète résistant du VIIe siècle. Appelé à enseigner la musique, il commence ses premières recherches dans le domaine de la musique sacrée, tout en mettant en place un chœur et un orchestre d'instruments traditionnels.

Nommé archimandrite en 1895, il se rend la même année à Tbilissi (Tiflis) pour perfectionner ses connaissances artistiques. Là, il rencontre le compositeur et enseignant Makar Yekmalian qui l'initie aux techniques européennes. L'aide d'un mécène lui permet de perfectionner sa voix de baryton à Berlin, au conservatoire privé du professeur Richard Schmidt. En septembre 1899, il est de retour à Etchmiadzine : nourrie de philosophie, d'histoire et d'esthétique, son approche de l'art a évolué. Parallèlement, il visite différentes régions d'Arménie d'où il rapporte des centaines de chants kurdes, persans, turcs, etc. Mais ces recherches commencent à lasser sa hiérarchie et, en 1910, le chercheur part pour Constantinople. S'il peine à ouvrir le Conservatoire National dont il rêve, il réussi à organiser une chorale très populaire composé de trois cents chanteurs.

Alors que son action en faveur de la tradition et du folklore arménien commence à prendre de l'ampleur – deux conférences à Paris, par exemple –, un programme d'extermination se met en place, annoncé comme nécessaire à la construction de l'État-nation turc. En l'espace d'un an, près d'un million et demi d'Arméniens ottomans, soit les deux tiers de la population, perdent la vie. Les premières rafles d'avril 1915 visent à supprimer la résistance de l'élite intellectuelle. Komitas est arrêté puis déporté en Anatolie. Ramené à Constantinople grâce à l'intervention de personnalités influentes, l'homme est brisé par tout ce qu'il a traversé. En 1916, il est interné en hôpital psychiatrique, et passera ses vingt dernières années à Villejuif. Il y meurt le 22 octobre 1936. Son corps retourne en terre natale, à Erevan.

Notons enfin que les artistes de cette gravure se produiront le lundi 12 mars, à la Salle Gaveau, dans un programme réunissant Komitas à d'autres compositeurs arméniens, tels Edouard Mirsoian, Tigran Mansurian, Tigran Tchouhadjian, etc.

HK