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Chroniques
Solange Vernois
L’orphéon du caricaturiste
Sous-titré Regards sur la pratique musicale dans les périodiques humoristiques illustrés français (1832-1930), le livre du maître de conférences d’histoire de l’art contemporain Solange Vernois relate un siècle de regard bouffon sur la vie publique et privée, de la Troisième République notamment. En effet, libéré du « délit d’opinion » en même temps que la presse grâce à la loi du 21 juillet 1881, la caricature de mœurs envahit quelques deux-cent cinquante journaux satiriques qui paraissent dès lors – Le Rire (1894), Le Charivari (1832), Le Journal Amusant (1856), La Vie Parisienne (1863), Le Pêle-Mêle (1895), L’Assiette au beurre (1901) étant les plus connus –, lesquels affichent des sympathies anarchistes pour certains, des vues réactionnaires pour d’autres. Avec ses divas capricieuses, ses musiciens obéissants, ses figurants frustrés, l’univers musical devient une mine à exploiter (parfois avec tendresse) tant il reflète en miniature cette société avide d’harmonie, d’honneurs et d’argent.
Mais avant de railler un certain mode d’existence bourgeois (ennui des snobs à l’opéra, vanité des salons, cruauté des concours, etc.), le caricaturiste s’attaque en premier lieu aux compositeurs populaires, espérant révéler la gloire illusoire de ces colosses d’argile. Mais il se trompe souvent de cible : que penser de ces médiateurs sceptiques qui ont ridiculisé Berlioz (et son canon), Wagner (perçant les tympans), Liszt (tentaculaire devant son clavier) et tant d’autres, confortant un public béotien dans l’idée que ceux-là ne faisaient pas de la musique, mais se distinguait soit par une ascèse arrogante, soit par des vices sympathiques (ce Rossini paresseux et gourmand…) ? Que le rire facile engendre la bêtise, alors même qu’il croit défendre le bon sens.
Politiciens livrant avec insouciance l’Europe à la cacophonie, jeunes filles sacrifiées au désir d’ascension sociale, dilettantes naïfs autant qu’imbéciles, chanteuse de bastringue, tsigane virtuose et musicien des rues, aucun n’échappe à l’œil critique du dessinateur comme à celui de l’auteure qui, malgré l’intérêt des informations et analyses livrées, n’évite pas l’effet catalogue à décrire le travail de Cham, Pif ou Caran d’Ache. Même si l’ouvrage comporte une bonne cinquante de reproductions, mieux aurait valu en doubler le nombre. Une autre chose nous gêne : ce lapsus muet / mort (p.179) qui laisse un doute sur la fiabilité d’autres retranscriptions. Ce n’est pas bien grave si l’on ouvre ce livre seulement pour se détendre.
LB