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Chroniques
Stéphane Friédérich
Gustav Mahler
« Bohémien parmi les Autrichiens, Autrichien parmi les Allemands et Juif parmi tous les peuples du monde », c'est ainsi que ce définira lui-même Gustav Mahler, pour donner une idée de son sentiment d'isolement et d'incompréhension. Deuxième enfant d'une tribu de quatorze (dont huit mourront en bas âge), le petit Gustav naquit le 7 juillet 1860. Il grandira dans un climat familial tendu, et devra toute sa vie faire face à la mort de ses proches, souvent des suites d'une maladie : son frère préféré, Ernst, meurt quand ils sont adolescents, sa sœur Leopoldine et sa mère en 1889, jusqu'à sa propre fille Maria, (surnommée « Putzi »), disparue avant d'avoir cinq ans, en 1907. Son mariage ne sera pas non plus une réussite puisque Alma, souffrant de passer du rôle d'égérie de la Secession à celui de femme au foyer écrasée par un mari souvent maladroit, un créateur qui vit presque en ermite, finira dans les bras de Walter Gropius.
Voilà pour le pathos. Mais Malher, c'est aussi un artiste musical des plus complets. Dans une époque où les esthétiques de Wagner et de Brahms s'affrontent, le jeune musicien forme son goût par le biais de concerts et d'opérettes, de leçons de musique et de piano, avant de s'inscrire au Conservatoire de Vienne, en 1875. Élève doué, curieux de philosophie et d'histoire littéraire (ce que prouvent ses différents cycles de lieder), il achèvera Die Drei Pintos de Carl Maria von Weber, mais aucun de ses propres projets d'opéra, commencés entre 1877 et 1880. Plus à l'aise avec la composition de symphonies – « construire un monde avec tous les moyens techniques existants » –, il en achèvera neuf sans réel succès publique, en parallèle de sa carrière de chef d'orchestre.
Opéra de Cassel, Théâtre de Prague, Opéra royal de Budapest, Opéra de Hambourg... jusqu'au Metropolitan à la fin de sa vie, Mahler passera d'un établissement à l'autre, comme autant de places fortes qu'on assiège. En effet, confronté à certaines pratiques traditionnelles, bon sens et idéal musical veilleront à faire le ménage ici et là : remise en question des privilèges du personnel (diva comprise), unification des langues au sein d'une même production, opéras de Wagner montés sans coupures, interdiction de la claque, soutien de Salome contre la censure, etc. Dans ses combats, il aura parfois des alliés, comme le metteur en scène Alfred Roller, mais généralement, alors même que des musiciens comme Rimski-Korsakov, Sibelius ou Stravinsky auront du mal à comprendre l'esthétique mahlérienne, une ribambelle d'administratifs se succèderont pour l'évincer. Sa dernière bataille, contre une endocardite à streptocoques, mettra un terme forcé à ces tracas, le ramenant de New York à Vienne, où il s'éteindra le 17 mai 1911.
On le sait maintenant, la collection Actes Sud / Classica se veut synthétique, donc forcément décevante pour le mélomane aguerri. Cependant, pour qui ne connaîtrait rien à la vie du compositeur viennois, l'ouvrage de Stéphane Friédérich s'avère passionnant. Choisissant de ne pas recourir à des analyses musicales détaillées, il s'attache à l'humain plutôt qu'à l'œuvre, livrant des pistes d'une vie à creuser davantage (la rencontre avec Freud, par exemple) par des lectures complémentaires. En ce sens, le but annoncé par la quatrième de couverture est atteint : tenir entre ses mains « l'outil idéal d'initiation à la musique de Mahler ».
LB