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Chroniques
Stanisław Moniuszko
Halka
Si certains guides d’écoute, visant à résumer l’histoire de l’opéra en une centaine d’œuvres, font directement suivre Meyerbeer par Monteverdi, d’autres ont accordé une place à Stanisław Moniuszko (1819-1872), ne serait-ce que pour un seul de ses ouvrages lyriques, joué cent cinquante fois du vivant de son auteur, à savoir le célèbre Halka – un ouvrage voire deux, si l’on cite également Le manoir hanté (1865) [lire notre critique du CD]. C’est dire notre méconnaissance d’un compositeur qui remporta en Pologne un succès comparable à Smetana ou Glinka dans les pays voisins, et qui, préférant le théâtre vocal à la musique pure, laisse derrière lui une dizaine d’opéras et autant d’opérettes [lire notre chronique du Paria].
D’abord conçu en deux actes présentés lors d’un concert privé, l’opéra de jeunesse de Moniuszko est révisé pour en comporter quatre, lors de la création au Theatre Wielki dix ans plus tard, le 1er janvier 1858, dans la Varsovie d’adoption du musicien. Le livret de Włodzimierz Wolski (1824-1882) repose sur Góralka (La fille des montagnes), un conte agreste signé Kazimierz Władysław Wóycicki (1807-1879), centré sur un amour tragique. Dans son manoir – qui n’est pas hanté, celui-ci… –, le sénéchal Stolnik donne un bal en amont du mariage de sa fille Zofia avec le noble Janusz. Ce dernier vient d’abandonner la paysanne Halka, laquelle se lamente dans le parc. Pour gagner du temps, il promet de la rejoindre à la nuit. Comme on pouvait s’y attendre, la confrontation se passe mal, d’autant qu’Halka avoue, sous les yeux du montagnard Jontek amoureux d’elle, qu’elle porte l’enfant de Janusz. Le jour de la noce, Halka veut mettre le feu à l’église remplie d’invités, puis y renonce pour finalement se jeter à l’eau. Signalons qu’une suite fut donnée à cette pierre fondatrice de l’école nationale polonaise par Bolesław Wallek-Walewski (1885-1944), figure musicale éminente de Cracovie : Pomsta Jontkawa (La revanche de Jontek, 1926).
Pour sa présentation au Theater an der Wien, en décembre 2019, cette coproduction austro-polonaise choisit une ambiance rideau de fer en remplaçant le château de Stolnik par un de ces hôtels inaccessibles au peuple durant la jeunesse du metteur en scène Mariusz Treliński [lire nos chroniques du Château de Barbe-Bleue et de Die Frau ohne Schatten] : « seuls les touristes ramenant des devises étrangères et les mafieux pouvaient y séjourner. Il s’agissait de lieux isolés, très chers et au luxe suspect » (notice du DVD). En optant pour une scène tournante présentant plusieurs recoins du huis clos (Boris Kudlička), des étoffes au noir et blanc glacial (Dorothée Roqueplo) et des effets cinématographiques – pluie ruisselant sur les vitres, scènes de danse au ralenti –, Treliński favorise a priori le réalisme pour s’en éloigner régulièrement, au point que le public peu familier de l’histoire se questionne sans cesse : si l’orpheline Halka apparaît morte au début, va-t-on assister à un long flash-back ? L’épisode de la fausse couche est-il dans le livret originel ? etc.
Dans le rôle-titre, Corinne Winters propose un chant franc et ample, mais assez monolithique dans la première moitié, avant une seconde beaucoup plus nuancée [lire nos chroniques d’Otello, Jenůfa et Káťa Kabanová à Salzbourg, Genève et Lyon, puis de Madama Butterfly]. Natalia Kawałek (Zofia) offre un mezzo-soprano expressif, contrastant avec sa blondeur artificielle [lire nos chroniques d’Halka et de la Messe en ut majeur Op.86]. Tomasz Konieczny (Janusz) affiche un baryton sain et impacté [lire nos chroniques de Tristan und Isolde, Tannhäuser, Die Soldaten, Lohengrin à Paris (2017) puis à Dresde, Die Gezeichneten, Fidelio et Der Ring des Nibelungen], tandis que l’émouvant Piotr Beczała (Jontek) ravit l’écoute avec son phrasé infini et ses attaques en toute simplicité [lire nos chroniques de Die Entführung aus dem Serail, Werther, Rigoletto, La bohème, Rusalka, La traviata, Un ballo in maschera, Manon, Lohengrin à Bayreuth et à Paris (2023), enfin de sa Liederabend salzbourgeoise]. Alexeï Tikhomirov (Stolnik) se distingue avec une voix longue [lire nos chroniques de L'affaire Makropoulos, Raspoutine, Luisa Miller, A midsummer night's dream, Boris Godounov et L’ange de feu], dans une distribution que complète efficacement Łukasz Jakobski (Dziemba), Sreten Manojlović (Dudziarz), Paul Schweinester (Goral) [lire nos chroniques d’Amleto, Don Quichotte, Ariadne auf Naxos et Der Schatzgräber] et le Chœur Arnold Schönberg préparé par Erwin Ortner. En fosse, Łukasz Borowicz dirige sans faillir l’ORF Radio-Sinfonieorchester Wien.
LB