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Chroniques
Stanisław Moniuszko
Straszny Dwór | Le manoir hanté
Si les mélomanes peuvent approfondir leur connaissance de la musique polonaise – mais aussi de la peinture, du théâtre, du cinéma et de la poésie de ce pays nouveau dans la communauté européenne – grâce au projet Nova Polska qui se poursuit jusqu'en janvier 2005, ce coffret paru chez EMI Classics y contribue également.
Stanisław Moniuszko n'est pas totalement inconnu du public français. Outre que l'on peut entendre, même si cela reste rare, quelques-unes de ses mélodies pour soprano et piano au hasard des récitals – principalement grâce au fait que de plus en plus de chanteuses venues de l'est de l'Europe se produisent chez nous –, les passionnés d'opéra ne seront pas sans connaître le prestigieux concours international de chant qui porte son nom et s'est tenu à Varsovie ce printemps, réunissant un jury impressionnant (où l'on remarquera la présence de personnalités comme Claudio Desderi, Larisa Giergieva, Kazimierz Kord, Eva Marton, Magda Olivero ou Jadwiga Rappe, entre autres).
Né en 1819 à Ubiel, le compositeur étudia à Minsk, Varsovie et Berlin, avant d'être chef d'orchestre à Vilnius, et de se passionner pour le chant slave, ce qui devait immanquablement l'amener à écrire rien moins que trois centaines de mélodies, plus de deux dizaines d'œuvres pour le théâtre lyrique, et lui vaudrait d'être considéré aujourd'hui comme le père de l'opéra polonais. Sa musique permit une salutaire identification à un peuple qui voyait sa culture dépréciée, et l'épisode de l'interdiction de son second ouvrage, Halka (1847), jugé dangereusement pro-polonais par la censure tsariste qui domine le pays – de sorte qu'il ne serait représenté publiquement qu'une dizaine d'années plus tard – aura bien entendu renforcé, à juste titre, une réputation de musicien patriote (comparable à celle de Smetana et Dvorák à Prague, par exemple), qui prit une telle envergure que son œuvre devait compter activement dans la révolte polonaise. Moniuszko dirigera l'Opéra de Varsovie quelque temps avant de s'éteindre à l'âge de cinquante-deux ans.
Écrit sur un livret de Jan Checinski en langue polonaise, Straszny Dwór, ou Le manoir hanté en français (également rencontré sous le titre Le château des fantômes), est considéré comme le chef-d’œuvre de Moniuszko. L'ouvrage sera créé en 1865, soit à peine deux ans après le soulèvement polonais, mais se verrait lui aussi censuré par les Russes, de sorte que le public devrait attendre 1914 pour le retrouver sur scène. En 1862, le musicien avait fait un voyage à Paris où il avait retrouvé son ami Chopin, mais aussi fait la connaissance d’Auber, Gounod et Rossini et de leurs musiques. Aussi, Straszny Dwór réunit-il assez étonnamment des traits spécifiquement polonais, un climat plus largement slave, et des influences belcantistes évidentes. S'ouvrant sur une brève Intrada – et non pas une Ouverture – d'une grande élégance, invitant à une fête, comme le voulait l'esprit du genre plus d'un siècle plus tôt, et donc liée à une écriture de cour, l'œuvre illustre une intrigue assez plaisante, sorte de comédie villageoise faussement naïve sur fond de romantisme fantastique hérité du roman noir. Une première écoute ne manquera pas de s'avérer relativement déroutante : si l'on entend ce que Tchaïkovski put apprendre d'une telle facture, l'empreinte italienne paraîtra parfois parasitante. Il sera donc conseillé de commencer par s'attacher à l'argument, et de parfaire une approche moins catégorique par une seconde écoute plus attentive à la musique.
Servi par des interprètes de grands talents, cet enregistrement du Théâtre Wiekli, soit l'Opéra National Polonais de Varsovie, offre une qualité exemplaire. Citons le Zbigniew de Piotr Nowacki, et trois magnifiques voix féminines : Anna Lubanska, Stefania Toczyska et Iwona Hossa. Offrant un travail de nuances non négligeable, l'orchestre est dirigé par Jacek Kaspszyk.
HK