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Chroniques
Stefano Gervasoni
pièces avec piano
Né à Bergame en 1962, Stefano Gervasoni s’est fait connaître par un travail riche et raffiné, marqué par le recours à l’altération et à la référence (musiques savantes ou populaires, tels jazz, fado, etc.). Quand notre confrère Bertrand Bolognesi le rencontre en avril 2016, au moment de créer Fu verso o forse fu inverno, il regrettait qu’on le rangeât trop rapidement dans cette génération post-Sciarrino uniquement préoccupée de couleur : « affirmer que le timbre est mon terrain de recherche et d’expression n’est pas faux, mais c’est trop exclusif, car je m’interroge beaucoup aussi sur la forme, le rapport entre poésie et musique, et sur bien d’autres choses dont ma musique est traversée » [lire notre entretien].
Quatre pièces chambristes composent un album placé sous l’égide du pré, lieu où « les enfants jouent avec la prémonition de quelque chose d’obscur qui doit advenir et que leur regard innocent est capable de pressentir, avec ce sens de la menace que l’adulte ne peut ou ne veut pas saisir » – Gervasoni pense à Ponge, nous au Blue velvet de Lynch (1986). Prés s'avère la principale attraction, cycle de trois livres pour piano amorcé en 2008 et dont Franco Venturini livra la création complète (Paris, 2015). Comme l’indique Philippe Albèra dans l’ouvrage qu’il consacre au musicien, cette œuvre est destinée aux plus jeunes en plus d’être inspirée par leur univers ; cependant « les premières pièces sont assez simples, mais les suivantes sont plus difficiles, et les dernières carrément virtuoses » (in Le parti pris des sons, Éditions Contrechamps, 2015).
Formé de six pièces comme les suivants, le premier livre offre une matière grandement aérée, à l’exception de Prémisse, tourbillon tourmenté. On aime l’évanescence de Pré ludique, la quête timide de Pré lubrique, le picorement minimaliste de Prémices, etc. Chaque fois, le calme étal abrite un sursaut éphémère, d’autant plus inattendu qu’il se cache au cœur ou à la fin du fragment. Le deuxième livre présente aussi une quatrième pièce en contraste, puisque l’endormi Pré épuré suit Précieux carillonnant, Prétentieux ricaneur et Pernicieux tendrement agité, avant de laisser place à l’obstiné Pré carré, à l’agile Pré paré. Enfin, avec ses effets variés (égouttements, martellements, etc.), le troisième confirme la maîtrise et la sensibilité d’Aldo Orvieto.
Chaque livre de Prés est suivi par une pièce étrangère au cycle.
Saori Furukawa rejoint l’ancien élève du conservatoire de campiello Pisani pour Sonatine expressive (Venise, 2012) dont le titre est un dilemme : sonate inexpressive, qui dompte l'impulsion de la petite forme, ou sonatine expressive, sans rivale en charme et en discrétion ? Avec ce dialogue insolite entre violon et piano, Gervasoni souhaite que « l’expressivité et le lyrisme soient obligés de cohabiter avec le désir de les retenir pour les préserver, pour leur permettre de se renouveler avec encore plus de force ». Et, bien évidemment, le sortilège agit.
Les deux « entractes » restants, postmodernes, nous parlent encore d’enfance. Conçu pour piano et électronique en temps réel (Alvise Vidolin), Luce ignota della sera (Venise, 2015) fait référence au douzième et ultime fragment de l’opus 85 de Robert Schumann, Abendlied. Cette lumière inconnue du soir a de surprenants reflets aquatiques, puis métalliques. Quant à lui, Adagio ghiacciato (Venise, 2012) s’inspire directement du K.356 de Mozart, destinée au Glaßharmonica. Ici le violon fait face à un piano préparé (en place du piano-jouet ou célesta recommandés), avec des frissons mis en valeur par une prise de son exemplaire.
LB