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Chroniques
Stefano Landi
Il Sant’Alessio | Saint Alexis
Quelques décennies après la création d’Euridice (1600) et celle de L’Orfeo (1607) [lire notre critique du DVD], signés respectivement Monteverdi et Peri, un dramma musicale de Stefano Landi (1587-1639) renonce à toute influence mythologique pour s’inspirer d’un sujet historique (Alessio vécut au Ve siècle de notre ère) et s’inscrire dans la ligné de la Contre-Réforme, friande de sensualité (retenir à tout prix les « fidèles ») autant que d’édification (héroïsation des saints). La commande émane d’ailleurs du cardinal Francesco Barberini et du prince de Palestrina, tous deux neveux d’Urbain VIII, qui confient le livret à un haut prélat toscan, Giulio Rospigliosi, qui deviendrait pape en 1667, sous le nom de Clément IX. L’ouvrage est d’abord présenté au Palazzo Barberini ai Giubbonari, le 8 mars 1631, puis le 21 février 1632, pour l'inauguration du Palazzo Barberini alle Quattro Fontane et en l'honneur de l’émissaire de la cour impériale d'Autriche, allié du pape dans la guerre de Trente Ans.
Après le Prologue animé par la figure de Roma ceinte d’un chœur d’esclaves, le sénateur romain Eufemiano se confie au chevalier Adrasto : bien des années plus tôt, son fils Alessio a disparu, le soir même de ses noces. Tous se lamentent depuis, imaginant le pire, sans se douter que le fils disparu, aspirant à l’élévation spirituelle plutôt qu’à satisfaire ses sens, continue de vivre dans l’enceinte de la maison. Déguisé en mendiant, réfugié sous un escalier, il est tourmenté au quotidien par deux pages, Martio et Curtio, ou par des décisions familiales dont il est témoin, comme celle de sa femme, puis de sa mère, de partir à sa recherche. Alors que le Démon a échoué à flétrir une quête nichée dans un « cœur de diamant », un Ange apparaît à Alessio pour annoncer sa mort prochaine, laquelle est accueillie avec la joie d’être arrivé à bon port.
« Une des originalités du Sant’Alessio, constate Dominique Fernandez dans le programme du Théâtre des Champs-Élysées qui accueillait l’ouvrage peu après les représentations de Caen (filmées en octobre 2007), est le mélange des genres, la coexistence de l’élément pathétique et l’élément comique, ce qu’on appelle l’audace « shakespearienne » de marier le rire au tragique ». Une autre est qu’il proposait – les femmes n’ayant pas le droit de monter sur scène dans les États du pape – une distribution entièrement masculine, avec des mezzo-soprani castrati pour les rôles de mère, épouse et nourrice.
Face aux basses Alain Buet (Eufemiano) et Luigi De Donato (Démon), neuf contre-ténors sont donc réunis, avec la chance pour le mélomane – dans un domaine qui commence à foisonner de « starlettes » ! – de pouvoir mieux juger du degré d’ampleur, de brillance et d’incise de chacun : Philippe Jaroussky (Sant’Alessio) [lire notre entretien], Max Emanuel Cenčić (Épouse), Xavier Sabata (Mère), Damien Guillon (Curtio), Pascal Bertin (Nuntio) [lire notre entretien], José Lemos (Martio), Jean-Paul Bonnevalle (Nourrice), Terry Wey (Religion, Rome) et Ryland Angel (Adrasto).
Si le spectacle a plu, tendrement conduit par William Christie à la tête des Arts Florissants réduits à douze musiciens et mis en scène par Benjamin Lazar avec une quête d’authenticité appréciée par à-coups, on pourra retrouver ces derniers dans un bonus d’une demi-heure, évoquant la genèse de l’œuvre, l’époque de la création, l’art du travestissement et celui de se détacher de la partition, ainsi que la fraîcheur de la musique scénique de ce temps à innover de façon parfois anarchique – « de la dynamite ! » dit Bill.
LB