Chroniques

par laurent bergnach

Steve Reich
Conversations

Éditions Allia (2023) 384 pages
ISBN 979-10-304-1703-6
Allia publie une vingtaine de conversations d'artistes avec Steve Reich

À l’heure où Présences consacre sa nouvelle édition au compositeur Steve Reich – le fameux festival organisé par Radio France qui, malheureusement, le confie à une agence de presse rétive à accueillir notre média, cette année encore –, il convient de se pencher sur un des plus récents documents le concernant. Celui-ci contient dix-neuf conversations, presque toutes tenues sur la plateforme de téléconférence Zoom au cours de la pandémie de 2020-2021, entre des artistes variés et celui qui avait déjà évoqué son catalogue dans Différentes phases [lire notre critique de l’ouvrage], avec le plaisir du questionnement réciproque, au cœur de toute rencontre substantielle.

Né en 1936, Steve Reich livre depuis plus d’un demi-siècle des partitions pour l’orchestre. Il était donc naturel que soient ici présents les chefs Brad Lubman, David Robertson et Michael Tilson Thomas. Tout en commentant l’accueil réservé à Four Organs (1970) qui servit de contact entre les deux hommes, puis les répétitions de The Desert Music (1984), Tilson Thomas livre son ressenti sur l’art du New-Yorkais : « […] au départ, c’est quelque chose d’amusant, d’entraînant, de ludique, puis ça prend une direction bien plus profonde, et même déroutante ». Robertson a lui aussi joué The Desert Music – à Sidney, en première partie du Sacre du printemps –, et en parle après Tehillim (1981) et City Life (1995). Enfin, le concert visuel Reich/Richter (2019) lance la conversation avec Lubman durant laquelle Reich donne un conseil à ses confrères : « […] si vous n’écoutez pas ce que les musiciens ont à dire au sujet de votre musique, qui allez-vous écouter ? ».

De fait, le créateur invite nombre d’interprètes à échanger avec lui, prouvant ainsi son respect pour cette catégorie d’artistes. Dans leurs entretiens classés peu ou prou dans l’ordre chronologique des opus commentés, on croise Russell Hartenberger (percussionniste historique de l’ensemble Steve Reich and Musicians), Jonny Greenwood (multi-instrumentiste du groupe de rock alternatif Radiohead), David Harrington (violoniste et fondateur du Kronos Quartet), Elizabeth Lim-Dutton (violoniste reichienne), Micaela Haslam (soprano à l’origine de Synergy Vocals) et Colin Currie (percussionniste dont un quartet porte le nom). Beaucoup des œuvres susmentionnées nourrissent les échanges, auxquelles s’ajoutent les incontournables Drumming (1971), Music for 18 Musicians (1976) et Different Trains (1988), de même que Daniel Variations (2006) et WTC 9/11 (2011), leurs cadettes.

Nous l’avons vu plus haut, Reich s’adresse aux compositeurs qui le liraient. Ceux avec lesquels il converse au fil de ces pages, surtout des compatriotes des générations suivantes, se nomment Stephen Sondheim (1930-2021), Michael Gordon (né en 1956), David Lang (1957), Julia Wolfe (1958), Nico Muhly (1981) et le Britannique Brian Eno (1948). Les derniers interlocuteurs du musicien sont le sculpteur Richard Serra – témoin des premières recherches –, le producteur Robert Hurwitz (président de Nonesuch Records de 1984 à 2017), la chorégraphe Anne Teresa De Keersmaeker [lire nos chroniques de Fase, Eight Lines, Rain et Counter Phrases], ainsi que la vidéaste Beryl Korot, épouse de Reich avec laquelle s’élaborèrent Three Tales (2002) et The Cave (1993) [lire notre chronique du 23 septembre 2011]. Un livre indispensable pour approfondir le parcours et la pensée d’un des pionniers de la musique minimaliste, créateur jamais dépourvu d’humour.

LB