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Chroniques
Théodore Dubois
Aben Hamet
Parti passer deux ans à la Villa Médicis grâce à sa cantate Atala (1861), Théodore Dubois (1837-1924) revient à Paris avec le sentiment d’entrer dans la réalité. Maître de chapelle à Sainte-Clotilde, puis à la Madeleine, il écrit un premier oratorio (Les sept paroles du Christ, 1867), puis une collection de trente-quatre motets [lire notre critique du livre-disque Ediciones Singulares]. Mais l’envie de théâtre est forte, chez ce wagnérien qui part en quête d’un livret. Touché par ses recherches infructueuses, Ambroise Thomas obtient pour lui un acte des célèbres Barbier et Carré, La guzla de l’émir, conçu avant-guerre mais joué seulement en 1873, à l’Athénée.
Le 16 décembre 1884, le public du Théâtre-Italien découvre Aben Hamet, ouvrage en quatre actes pour lequel les librettistes Léonce Détroyat et Achille de Lauzières puisent à la nouvelle de Chateaubriand, Les aventures du dernier Abencérage (1821). Fils de l’ultime roi maure de Grenade – ville reprise par les catholiques en 1492 –, le rôle-titre grandit en exil, aux environs de Carthage, avec sa sœur adoptive Alfaïma qui lui voue un amour secret. Zuléma, sa mère qui a tout perdu, le pousse à reconquérir la ville en organisant un soulèvement populaire. Aben Hamet se rend donc à Grenade, incognito. Arrivé à destination, notre héros s’éprend de Bianca, fille du Duc de Santa Fé qui gouverne la ville. Finalement, Zuléma lance la rébellion contre les Espagnols. Son fils se bat et meurt sous les yeux de son amoureuse chrétienne.
Ses efforts restant vains de retrouver un matériel d’orchestre disparu, Jean-Claude Malgoire s’est attaché à ressusciter une œuvre découverte dans sa réduction piano et chant. À partir d’une révision édulcorée par Dubois lui-même en 1888, le fondateur de l’Atelier Lyrique de Tourcoing s’est plongé dans des archives familiales et traités d’orchestration pour mettre à jour les incontournables de l’époque (harpe, percussions colorées, etc.), voisinant avec de nouveaux instruments (saxophone, ophicléide, sarrusophone). Le livret original étant en italien, il fallut aussi revoir la traduction française disponible dont l’intolérance religieuse pouvait choquer. Mais le théâtre peut-il se passer de cruauté ? En accord avec Artaud et Ghelderode, nous ne le croyons pas.
Entendu lors d’un concert canadien en juin 2013, ce travail fit l’objet de trois représentations au Théâtre municipal Raymond Devos (Tourcoing), les 14, 16 et 18 mars 2014. De là naquit le présent enregistrement. À la tête de La Grande Écurie et La Chambre du Roy, Malgoire s’y révèle connaisseur de la musique du temps (Delibes, Gounod, Saint-Saëns) sans pour autant satisfaire en profondeur. C’est qu’un orchestre réduit ne peut rendre le moelleux, le lyrisme et l’opulence qu’on attend d’un tel ouvrage. De fait, beaucoup de passages semblent étriqués, désuets, décharnés.
Une distribution vocale de qualité gomme les carences de fosse.
Baryton clair à l’intonation précise [lire nos chroniques des 7 janvier et 24 novembre 2011, ainsi que celle du 27 mai 2015], Guillaume Andrieu (Aben Hamet) côtoie deux soprani enamourés : Hasnaa Bennani, souple et gracieuse comme à son habitude [lire notre critique du CD Cantates françaises], ainsi que Ruth Rosique (Bianca), au timbre rond et chaleureux [lire notre chronique du 18 avril 2013]. D’un vibrato parfois encombrant, le mezzo Nora Sourouzian (Zuléma) possède un legato remarquable et la couleur idéale pour incarner une reine vengeresse qui sacrifie son enfant. De même, Marc Boucher (Santa-Fé) est-il un baryton-basse ferme qui livre un gouverneur plein de prestance [lire notre chronique du 13 novembre 2015]. L’Ensemble Vocal de l’Atelier Lyrique intervient également, incarnant Maures, guerriers et courtisans.
LB