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Chroniques
Theodor Wiesengrund Adorno
Moments musicaux
Réunis par le philosophe lui-même, les textes qui constituent les Moments Musicaux, publiés sous cette forme par Suhrkamp en 1982, viennent de paraître dans une traduction fidèle de Martin Kaltenecker.
Penseur, esthéticien, musicien lui-même (il étudia la composition auprès d'Alban Berg, puis écrivit lui-même quelques œuvres chambristes), Adorno interroge la modernité de Schönberg, la terrible projection de Mahagonny, l'aura scandaleuse de la violence d’Ernst Krenek, etc. Il tente par ailleurs de dresser l'histoire du jazz, en tant que phénomène mais aussi de procédé, s'inquiète de l'avènement d'un marché de la musique et des soucis de légitimité d'interprétation que cette notion entraîne, évoque le dialecte schubertien, comment la pensée de la mort intervient dans les œuvres de compositeurs vieillissants et quels malentendus sont générés par la connaissance que le mélomane ou le commentateur peuvent avoir d'une datation des œuvres par rapport à la mort de l'auteur.
Le propos est, bien sûr, musical, mais Adorno analyse ses propres sujets par le biais de ses préoccupations sociales. Ainsi, l'article sur Schubert est aussi un texte sur le phantasme petit bourgeois d'une certaine manière d'écouter sa musique, de même qu'il explore la germanité dans le Freischütz de Weber. Le court texte intitulé Hommage à Zerline est tout à fait percutant et nous invite à revoir nos classiques sous un autre angle. Ce volume livre également un très beau texte de 1930 sur Ravel, en particulier sur la tristesse enfantine de certaines de ses pièces, mais aussi sur son enfermement dans des formes, son anti-wagnérisme, et ce qui, selon lui, le différencie le plus de Debussy avec lequel l'auditeur de ces années-là avait encore tendance à trop l'associer.
Ces Moments Musicaux permettent d'approfondir ses grands essais sur la musique (Mahler : une physionomie musicale, Alban Berg : le maître de la transition infime, Essai sur Wagner, etc.), tout en se teintant des ouvrages plus généraux. En fin de volume, Martin Kaltenecker signe Ground, une analyse brillante des articles précédents à travers laquelle il rattache chacun des sujets et des questionnements qu'il suscite à l'ensemble de la pensée de Theodor W. Adorno.
BB