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Chroniques
Thomas Adès
The tempest | La tempête
Quelques années après Powder her face (1995), son opéra de chambre sur la vie scandaleuse de la duchesse d’Argyll [lire notre critique du DVD], Thomas Adès revient au monde lyrique avec un projet d’une autre envergure, sans citations ni pastiche. En quête d’un sujet sur l’isolement (celui de Paul et Virginie vu par Cocteau-Radiguet à destination d’Erik Satie, ou encore celui des membres d’une secte), il se décide pour une adaptation en trois actes de The tempest (1611), la célèbre tragi-comédie de Shakespeare qui conte la vengeance de l’ancien duc de Milan, après douze ans d’exil sur une île sauvage et fantastique, lorsque ses ennemis tombent par hasard entre ses mains.
Purcell, Tchaïkovski, Sibelius ou Berio s’en inspirèrent avant lui, tant la magie de Prospero fascine, mais tous ne racontent pas l’histoire complète de la pièce, comme le souhaitait le compositeur anglais (né en 1971). Avec la poétesse et librettiste Meredith Oakes, il trouve la solution de condenser le texte en vers et couplets concis, avec nombre de distiques usant de « demi-rimes » – « What will he think ? Why have you done this ? Why do you hate him ? » demande Miranda à son père qui tourmente l’amoureux Ferdinand (Acte I, scène 5). L’esprit est ainsi respecté tout en laissant respirer la musique.
La création au Royal Opera House (Londres), le 10 février 2004, fut saluée par certains comme un moment historique, tel celle de Peter Grimes (1945). C’est donc d’emblée un classique, ce que confirme la tournée de la production originelle [lire notre chronique du 27 septembre 2004], sa reprise en 2007 [lire notre critique du CD] et l’implication de nouveaux metteurs en scène depuis lors. Au Met’ (New York), ce 10 novembre 2012, Robert Lepage multiplie les effets prodigieux (apparition, lévitation) dans le cadre d’un théâtre qui regorge naturellement de trappes et poulies – une Scala recréée par un Milanais nostalgique !
En fosse, comme à Québec durant l’été, le compositeur guide un orchestre d’une sombre tension qui ne s’allège vraiment que dans les moments d’amour et de réconciliation. Pour Hélène Cao, « il a volontairement opté pour des couleurs plus mates et moins chatoyantes que celles de ses autres partitions, afin d’établir une parenté avec l’orchestre du XIXe siècle, et en particulier avec celui des Troyens de Berlioz » (in Thomas Adès le voyageur, M.F., 2007). Signalons que le créateur s’entretient quelques minutes avec Deborah Voigt, dans un bonus typiquement made in Met’ (non sous-titré) qui explore les coulisses de la représentation.
En demi-sauvage tatoué, Simon Keenlyside (Prospero) retrouve le rôle créé pour lui, sonore dans la colère, infiniment nuancé avec Miranda. Isabel Leonard incarne celle-ci, mezzo-soprano au aigus faciles qui gagne en onctuosité quand elle rencontre Ferdinand – tendre Alek Shrader. Délicat lui aussi, William Burden (Roi de Naples) est bien entouré : Christopher Feigum vaillant (Sebastian), Toby Spence sain et vif (Antonio), Kevin Burdette ample (Stefano), Iestyn Davies très clair (Trinculo) et John del Carlo (Gonzalo) instable et caverneux. Alan Oke incarne un Caliban émouvant, un peu acide et ébréché, tandis qu’Audrey Luna (Ariel), reptilienne, excelle dans les suraigus permanents.
LB