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Chroniques
Toshio Hosokawa
Œuvres avec saxophone(s)
Avec cette nouvelle gravure du label Kairos, nous retrouvons Toshio Hosokawa (né en 1955) à travers cinq opus empruntés à plusieurs périodes de son parcours de créateur, ici servis par le jeune saxophoniste virtuose Masanori Oishi, diplômé en 2005 et 2006 au CNSMD de Paris, et depuis véritable coqueluche des compositeurs. Celui qui nous occupe aujourd’hui écrit de lui qu’il est « un musicien en qui j’ai une grande confiance et un grand respect. Doté d’une technique impeccable et d’une musicalité étonnamment riche, il rend les partitions avec intelligence et précision, des classiques français aux œuvres les plus avancées de notre temps. Sans perdre une seule nuance, il saisit l’essence de la musique et la joue avec délicatesse, puissance et grâce. L’instrument saxophone retrouve une nouvelle vie » grâce à lui (notice du CD). Artiste qui manie le son jusque dans le silence, dans une verve qui n’est point dépourvue de rituel, Hosokawa, souvent frappé par l’inspiration opératique [lire nos chroniques d’Hanjo, Matsukaze, The raven, Stilles Meer et Erdbeben, Träume], invente à chacune de ses partition une dramaturgie nouvelle. S’exprimant sur son propre travail, il précise qu’il serait « une calligraphie sur une toile de silence » (même source). « La forme du son (la ligne mélodique) a des courbes, comme si elle était dessinée avec un pinceau oriental. »
Abordons ce disque dans l’ordre chronologique de composition des pièces formant son programme. Avec Vertical Time Study II, donc, conçu pour saxophone ténor, piano et percussion en 1993 et 1994, puis créé en Forêt Noire par le Trio Accanto à Trossingen, le 18 avril 1994. Après une attaque sèche et drue, le saxophone prend le devant de la scène telle une voix qui déploie un chant mystérieux, un rien rogue, tandis que les deux autres instruments délimitent un espace de jeu qu’ils dessinent comme les limites de la « nature et de l'univers, embrassant et opposant les êtres humains ». On ne saurait à proprement parler évoquer quelque discours à l’écoute d’un énoncé néanmoins clairement déclamé. Le rôle de Tomoko Kasai (percussion) et de Saori Oya (piano) n’est pas limité à un impact paysagiste : encore ceux-ci déjouent-ils, au fil de leurs interventions, un déroulé qui opère sans régularité, comme un souffle indépendant que nul ne peut maîtriser.
Duo pour hautbois et harpe composé en 1999, créé en 2002 à Lübeck, et révisé en 2015, Arc Song connaît depuis l’automne 2015 une version où le bois d’origine a cédé la place au saxophone soprano. Nous l’entendons par ceux qui lui donnèrent le jour : la harpiste Naoko Yoshino et Masanori Oishi. Les appels énigmatiques de l’instrument à vent s’élancent sur une sorte de carte vigoureusement ciselée par le pincement des cordes, lors d’une cérémonie qui ne livre pas ses secrets. L’effectif choisit en 2006 par le musicien japonais n’a rien d’habituel : ses Three Love Songs, dont la première fut assurée par Marie Kobayashi et Claude Delangle au festival MANCA (Nice) l’année même de leur achèvement, convoquent une voix et un saxophone alto. Hosokawa a composé cette œuvre à partir de trois poèmes de la poétesse Izumi Shikibu, active au Japon à l’orée du XIe siècle – c’est sur son œuvre que Salvatore Sciarrino prit appui pour Da gelo a gelo [lire notre chronique du 23 mai 2007]. Il revient au soprano belge Ilse Eerens de défendre ces trois chansons d’amour qui transmettent « l’intensité de ses passions [Shikibu] et de ses angoisses intérieures, de même qu’une prière pour appeler la lumière bouddhiste du salut ». À la languissante plainte initiale (A Dark Pass) succèdent les âpres accents d’un voyage funeste (Memory) puis une diaphanéité fascinante (Firefly) traversée d’un cristal mystérieux qui pourrait-être cette « âme échappée de moi ». La dense onctuosité de l’interprétation d’Ilse Eerens lui confère une présente fort particulière [lire nos chroniques de Lady Sarashina, Moses und Aron, Lucio Silla, Der Kreidekreis, Der Prozess, Béatrice et Bénédict et Die Zauberflöte].
C’est Oishi qui lui-même a détourné Three Essays (2016/2019) vers le saxophone soprano, alors que ces études ont été imaginées pour hautbois. « Je considère ma musique instrumentale comme une extension de ma voix », dit Hosokawa, et, en effet, la péroraison liminaire (I) n’est guère loin d’un solo de théâtre, quand le nerveux babil fragmenté (II) s’apparente à une palilalie aperghissienne, avant l’épuisement (III) dans une courbe qui paraît renouveler sa mort en guise de méditation valeureuse. L’extrême raffinement de Mei-an (Light and Darkness), l’œuvre la plus récente de cette galette – écrite en 2020 et 2021, elle vit le jour au printemps 2021 à Tokyo –, place la voix du saxophone ténor dans l’aura céleste du shō (orgue à bouche), « l’instrument le plus ancien du monde, avec trois mille ans d’histoire ». Pourtant, c’est un dialogue que l’on perçoit, un dialogue subtil et discret auquel Masanori Oishi et Mayumi Miyata [lire notre critique d’Etheric Blueprint Trilogy] donnent un lustre inouï. Voilà une exploration qui mérite qu’on s’y égare un peu plus encore…
BB