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Chroniques
Tristan Murail
œuvres pour orchestre
Diplômé de l’École Nationale des Langues Orientales, pensionnaire à la Villa Médicis, co-fondateur de L’Itinéraire ou encore enseignant à l'Université Columbia (New York), Tristan Murail (né en 1947) multiplie les expériences sonores et musicales, depuis toujours. La création des trois œuvres avec orchestre de ce programme inédit au disque précède, entre cinq et vingt-cinq ans, celle de son récent concerto pour piano, Le désenchantement du monde [lire notre chronique du 14 septembre 2012].
Sillages (Kyoto, 1985/ Lyon, 1990) est la plus ancienne.
Pour répondre à la commande d’une trilogie symphonique écrite en parallèle avec Takemitsu (Yume mado) et Murray Schafer (Ko wo kiku), Murail s’inspire du jardin de pierres typique de l’ancienne capitale impériale. Les rochers cernés d’ondulations dans le gravier lui rappelle l’espace-temps d’Einstein déformé par des objets stellaires, si bien que « dans cette pièce [son] travail s’est concentré particulièrement sur les masses sonores, et la façon dont la perception autour de ces masses est déformée ». De manière plus anecdotique, le compositeur évoque aussi la corne des tramways de la ville japonaise, aujourd’hui en voie de disparition. Sillages est une page assez tendue où des repos tout relatifs sont abordés par Pierre-André Valade comme des moments d’attente. À la tête du Nederlands Radio Filharmonisch Orkest comme dans Contes cruels évoqué plus loin, le chef salue la faculté du compositeur à « organiser des objets sonores particulièrement complexes en un résultat global totalement cohérent et naturel ».
« L’écoute du Partage des eaux dévoilera aisément que le raffinement du timbre orchestral a été l’un de mes soucis prédominants » précise le créateur de L’esprit des dunes (1994) [lire notre chronique du 10 juillet 2014]. Créée à l’occasion du trentenaire de l’Orchestre Philharmonique de Radio France (Paris, 1997), cette pièce d’une vingtaine de minutes trouve son inspiration dans l’effet de ressac, phénomène naturel abordé plutôt comme Strauss que Debussy. Son titre n’exclue ni la psychologie ni la métaphore. On y entend l’alternance de moments raffinés qui respirent, frémissent dans le silence, et d’une « énergie de masses », selon les mots de Valade qui conduit le BBC Symphony Orchestra avec une profondeur généreuse. Difficile de ne pas se laisser envouter !
Inspirateur du symbolisme français de par son mépris du matérialisme bourgeois, Villiers de L’Isle-Adam publie Contes cruels en 1883, un titre que reprendrait Murail pour sa pièce avec deux guitares électriques et petit orchestre, créée à Amsterdam (2007). Instrument récurrent dans le catalogue du compositeur – Les nuages de Magellan (1973), Vampyr ! (1984) [lire notre chronique du 29 mars 2012], etc. –, la guitare indique ici le passage d’un conte à l’autre, souvent à l’origine des textures orchestrales qu’elle déclenche et nourrit. L’une d’elles est accordée un quart de ton plus haut, mais toutes deux sont transformées électroniquement, confiées à Wiek Hijmans et Seth Josel – entre autres membres du quatuor « électrique » Catch. Selon son auteur, cette mosaïque de moments courts suppose une imbrication à la manière des Mille et une nuits – plutôt qu’une simple déambulation d’un tableau à l’autre, façon Moussorgski.
LB