Chroniques

par bertrand bolognesi

Víctor Ibarra
œuvres pour ensemble

1 CD NEOS (2020)
12001
Six opus de Víctor Ibarra par Nacho de Paz et l'ensemble Vertixe Sonora

Dans la résonance d’une déflagration drue s’effiloche un appel mélodique de la clarinette basse, soliste d’Alice…, œuvre écrite en 2011. Dans le percussionniste Diego Ventoso, le clarinettiste Carlos Gálvez-Taroncher trouve un complice de taille qui propulse l’indicible foisonnement de cette pièce vers une interprétation fort inspirée dont il faut louer l’excellente prise de son – par Jorge Simões da Hora, à l’Auditório do Conservatório de Música do Porto. Les développements successifs de cette page ne répondent guère aux habitus communs : leur auteur invente sans cesse, avec une impressionnante maîtrise du matériau, une volonté quasi amoureuse de mettre en valeur les instrumentistes à laquelle s’oppose progressivement l’extinction, sacre d’un silence pulsé.

Les six enregistrements du présent CD ont été réalisés en juin 2019 par l’ensemble espagnol Vertixe Sonora, sous la direction de Nacho de Paz, chef asturien aguerri au répertoire contemporain. Ils forment une monographie du compositeur mexicain Víctor Ibarra, évoqué à deux reprises dans nos colonnes [lire nos chroniques de Du bleu du ciel et de Contrapunto urbano]. Né en 1978, Ibarra s’est formé au Mexique, en Suisse et en France, suivant les conseils d’Hebert Vázquez, de Michael Jarrell et de Daniel D’Adamo, entre autres maîtres. Échappant aux canons descriptifs, sa musique se caractérise par une énergie sans égale, des pétulances fougueuses réunies en d'ardentes fêtes. Ainsi d’Homenaje a Francisco Toledo, moins directement spectaculaire, où la volubilité du saxophone – Pablo Coello – croise en des eaux trompeusement statiques un volettement de cordes, rehaussé d’inserts savamment oxydés de guitare électrique, de harpe et d’accordéon. La partie médiane de cette œuvre conçue en 2014, cinq ans avant la disparition du grand plasticien de la côte Pacifique, impose une austérité radicale, concentrée dans un brutal piano campanaire. Le passage est soudain contrarié par une péroraison solistique progressivement hypnotique, extrême même, pour ne pas dire psychédélique. Ces forces sourdent peut-être des toiles de Toledo, volontiers peuplées de voix ancestrales, tels ces lointains fragments de discussions qui viennent hanter la dernière minute de l’hommage, déposés sur une pulsation profonde.

En 2016, Víctor Ibarra compose Paris wind behind me..., de ce disque l’un des quatre opus à n’être pas semi-concertants, bien que les parties de vents y gagnent un impact acharné (notamment la clarinette). À l’inverse d’un figuralisme reçu, plus que dans les souffles le vent se loge ici dans les effets cristallins ou, à l’inverse, dans les vrombissements surgraves, et dans une aura spectrale assez évidente. L’effectif de Química del agua (2015) se concentre sur le tranchant contraste des timbres, la vocifération des flûtes et clarinettes trouvant pour seul répons un piano tout velours (David Durán). Pour finir, une palilalie de violon, sur des pizz’ du violoncelle, succède à un épisode de saturation hurlante – le mystère demeure. Estudio sobre el gris y el verde (2011) partage avec Química del agua une parenté de clair-obscur accentuée par l’absence du violon), tout en révélant un fondu antagoniste, à la faveur d’un flux abondamment nourri jusqu’aux prémices de son troisième tiers, abandonné nu dans le très-fonds.

Enfin, l’âtre et fécond pépiement de La dimensión frágil, œuvre de 2015 qui donne son titre à l’album, observe également un flux conséquent, par deux fois vertement interrompu. S’ensuit une période de flottement dans la résonance, jonchée de tentatives avortées de retour au flux initial. Après une errance vive et fertile, la vigueur de l’effervescence recouvrée est définitivement brisée et laisse place à une superposition de chutes en micro-intervalles. Nous tenons là un de ces CD à écouter et réécouter, comme certains tableaux devant lesquels il faut s’arrêter, passer et repasser, l’œil en perdition momentanée, avec cet avantage du support qui permet de s’y plonger autant que l’on voudra.

BB