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Chroniques
Valery Gergiev et les Wiener Philharmoniker
Moussorgski – Prokofiev – Stravinsky
Ces dernières années, force est de constater que l’on n’allait plus à un concert dirigé par Valery Gergiev avec la certitude d’en sortir enchanté. En effet, le futur remplaçant de Maazel à la tête des Münchner Philharmoniker pouvait alterner le meilleur, tel son cycle Prokofiev au Théâtre des Champs-Élysées [lire notre chronique du 14 octobre 2008], et le douteux, comme son approche de Mahler à Pleyel [lire notre chronique du 12 décembre 2010]. Heureusement, lorsqu’il dirige dans la « ville aux cent églises » (une soixantaine de rendez-vous à ce jour), précision et lisibilité sont de la partie [lire notre chronique du 6 août 2010], et c’est avec une confiance récompensée au delà de notre espérance que nous suivons la soirée d’ouverture du Salzburger Festspiele filmée avec brio le 29 juillet 2012, à la Großes Festspielhaus.
La Symphonie de psaumes (1930/48) d’Igor Stravinsky est la première des œuvres russes au programme, commande de Sergueï Koussevitzky pour le demi-siècle du Boston Symphony Orchestra, dont le compositeur retravaillerait les trois mouvements quelques années après sa création bruxelloise, sous la direction d’Ansermet. Elle s’accompagne d’une multitude de particularités, comme d’avoir été commencée par son dernier tiers, d’opposer une forme de nature profane à un contenu d’ordre sacré, de remplacer des habituels violons par des cordes basses ou encore d’inviter un second piano. Sous la baguette de Gergiev, l’Exaudi initial arbore légèreté de scansion puis fièvre russe. Expectans débute avec une tendresse portée par les bois qui laisse place, d’un coup, à une mélancolie profonde inhérente à l’entrée des cuivres. Alleluia ! fait lui aussi cohabiter délicatesse (voix intimistes des soixante-et-un membres du Wiener Staatsopernchor, cordes soyeuses) avec des moments plus expressifs, en apparence chaotiques mais toujours structurés.
Pour Chants et danses de la mort (1875), un chanteur unique occupe la scène : Sergueï Semishkur – entendu dans le Requiem de Dvořák, à l’automne suivant [lire notre chronique du 28 novembre 2012]. Le ténor porte un univers en mineur sans espoir de pardon ni de vie après la mort, tiré des poésies d’Arseni Golenichtchev-Koutouzov par son ami Modeste Moussorgski, et il convient de saluer toutes les qualités affichées ici : projection sûre de mots sertis (Berceuse), legato exemplaire (Sérénade), stabilité, nuance (Trepak) et grande force dramatique (Le chef d’armée), au point de donner à l’auditeur ému l’impression de comprendre une langue étrangère. Comme Chostakovitch (1962) ou Kalevi Aho (2002) avant lui, Alexandre Raskatov (né en 1953) orchestre en 2007 le cycle soudé à trois interludes de son cru – en habitué de la thématique du passage, comme le rappellent Chemin [lire notre chronique du 31 janvier 2003] et Kaddish [lire notre critique du CD]. On y repère des sons énigmatiques (clavecin et harpe), jazzy ou référentiels (Boris Godounov).
C’est avec un grand lyrisme que le « Gergiev des grands jours » aborde la Symphonie en si bémol majeur Op.100 n°5 (1944) de Sergueï Prokofiev, en fin de programme – une œuvre pleine d’envergure et de puissance qui réussit à déjouer la censure stalinienne, puisque la lutte contre les troupes allemandes autorisait quelques dissonances. Les attaques cinglantes dynamisent un Andante très tonique, d’une certaine gravité. Ce train d’enfer se poursuit dans l’Allegro marcato, sans négliger toutefois la couleur du détail. L’Adagio renoue avec le lyrisme initial, tandis que l’Allegro giocoso ne connaît aucun dérapage et appelle des applaudissements amplement mérités.
LB