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Chroniques
Vicente Martín y Soler
La capricciosa corretta
Un bourgeois napolitain, père de grands enfants, épouse en secondes noces une péronnelle tyrannique qui passe ses journées à terrifier son entourage et à se pâmer de bavardages avec un fat parasite ; complètement privé d'autorité sur sa maison, victime du chantage de ses enfants qui disent vouloir l'abandonner s'il ne soumet pas la forte tête, il s'en remet au valet Fiuta pour échafauder un stratagème qui épouvantera tant la mégère qu'elle se transformera en brebis obéissante. Voilà pour l'intrigue.
Saluons les efforts conjugués des coproducteurs de la redécouverte d'un ouvrage à mi-chemin entre le dramma giocoso et l'opera buffa. On ne connaît plus guère aujourd'hui Vincente Martín y Soler (1754-1806) qui pourtant comptait parmi les trois grands compositeurs de Vienne dans la dernière décennie des Lumières. C'est d'ailleurs Da Ponte qui fournit le livret de cette œuvre, ce qui prouve si besoin est l'importance et la considération du compositeur en son temps. Musicalement, nous ne sommes indéniablement pas très loin de Mozart, mais aussi de Cimarosa et Paisiello.
On ne peut que se réjouir d'une telle parution, puisque non contente de permettre la redécouverte au disque d'un ouvrage représenté par la même équipe il y a quelques mois (Madrid, Lausanne, Bordeaux, Vienne), elle s’avère particulièrement bien servie par une distribution soigneusement choisie, chaque voix correspondant bien au caractère de son rôle, sans déroger à certaines analogies avec les personnages mozartiens.
Après une ouverture (sinfonia) un rien balourde, les qualités toutes mozartienne d’Emilio Gonzales-Toro – légèreté, souplesse, ligne de chant minutieusement entretenue, émission délicate autant qu'égale – imposent un Valerio attachant dès l'abord (joliment attendrissant dans son air de l'Acte II – CD 2 plage 2). L'Isabella de Katia Velletaz est moins flatteuse, quelque peu engorgée dans les récitatifs souvent instable, mais elle réussit ses airs (CD 2 plage 4). Le soprano Raffaella Milanesi donne une Cilia d'une grande clarté, dont le timbre volontiers espiègle séduit sans faillir, jusque dans des vocalises (CD 1 plage 6, par exemple) réalisées avec une agilité charmante. Josep Miquel Ramón est un Fiuta efficace, présent et tout à fait crédible, bien que certains traits soient parfois heurtés ; la leçon qu'il donne à Bonario est délicieuse (CD 1 plage 19). La coquette et tyrannique Ciprigna bénéficie de l'art indéniable de Marguerite Krull, projetant loin sa voix, tandis que le pauvre Bonario est le baryton Enrique Baquerizo, parfait barbon amoureux. On regrettera le ténor Yves Saelens, plus qu'approximatif dans les vocalises de Lelio. Mais – sopra tutti – le baryton Carlos Marín compose le fat parasite Don Giglio avec une formidable maestria, usant de toutes les possibilités expressives de son organe. Son duetto avec Bonario est charmant (CD 2 plage 26).
Tous ces artistes sont dirigés par Christophe Rousset à la tête de ses Talens Lyriques : pour irréprochable que soit sa lecture, un peu plus de souplesse n'aurait pas nui à la théâtralité (il nous a habitué à beaucoup mieux...).
BB