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Chroniques
Viktor Ullmann
Sonate pour piano n°1 – n°2 – n°3 – n°4
En mars 1939, les Allemands envahissent la République tchèque. Viktor Ullmann, qui vit de cours et de critiques en parallèle de sa création musicale, ne sait rien encore de la double déportation qui l'attend : en septembre 1942 tout d'abord, vers le camp de Terezín (Theresienstadt), à une soixantaine de kilomètres de Prague, puis à Auschwitz le 16 octobre 1944. Camp de rassemblement et de transit se voulant un trompe-l'œil offert au monde, Terezín rassemble nombre d'artistes qui avaient liberté de s'exprimer, jusqu'à créer des représentations d'opéra. Ullmann se charge d'organiser la vie musicale en général, et celle d'un « studio pour la musique nouvelle » en particulier. Paradoxalement, ce sont ces conditions de détention qui lui donnent le temps, comme jamais, d'écrire de la musique. Ses dernières œuvres ont été confiées à un ami avant son départ fatal. Comme le rappelle Edith Kraus qui a partagé cette existence, « la pire chose n'était pas le ghetto, c'était le coup de sonnette à la porte – la déportation ! C'est pourquoi il n'est pas innocent que les sonates 3 et 4 soient tellement plus sombres que les deux premières ».
La pianiste propose ici, avec beaucoup de vivacité et de nuance, les quatre premières sonates de l'élève de Schönberg, écrites en l'espace de cinq ans. Éditées entre 1936 et 1941, elles comportent chacune trois mouvements assez concis, sur le modèle romantique classique. Si la fin de chacune semble pétrie de tradition (séquence de variation, scherzo, fugue, etc.), avec des hommages à Mahler et Wagner (Première), Dukas et Janácek (Deuxième), le premier tiers, en revanche, souvent agitato, fourmille de trouvailles personnelles. Ses trois dernières, composée à Terezín, survécurent à l'état de manuscrit – dont la Sixième, achevée le 1er août 1943, et que notre soliste y créa.
Les dédicaces de ces pièces nous éclairent sur les compagnons de route du compositeur. De 1935 à 1937, son intérêt pour l'anthroposophie – un mouvement du début du siècle, qui se veut une science cherchant à approfondir la connaissance de l'homme et de la nature par delà son aspect matérialiste – l'amène au plus près du compositeur tchèque Alois Hába, mais également de Hans Büchenbacher, devenu Président de la Société d'Anthroposophie d'Allemagne en 1931. Ils se rencontrèrent en 1938, lors de la présentation privée de la Sonate n°1 au domicile du poète suisse Albert Steffen, lequel dirigea la Société anthroposophique universelle, basée à Dornach. La Sonate n°2 est dédiée à Büchenbacher, et la Troisième à Juliette Arányi, pianiste mozartienne à qui il a déjà adressé un Concerto pour piano, en 1939 – cependant, avec les restrictions nazies imposées aux Juifs, rien ne prouve qu'elle ait pu présenter l'un et l'autre. La variation d'après un thème de Mozart qu'on trouve dans l'œuvre semble un hommage supplémentaire à cette virtuose disparue à Auschwitz en 1944. Autre pianiste, Alice Herz-Sommer fut la dédicataire de la Sonate n°4. Elle aussi connut Terezín et, aujourd'hui centenaire, eut la chance d'y survivre.
LB