Chroniques

par michel slama

Vincenzo Bellini
La sonnambula | La somnambule

1 DVD TDK (2005)
DVWW-OPSON
Superbe production du Théâtre communal de Florence (décembre 2000)

Quel plaisir de retrouver en DVD l'un des plus purs chefs-d’œuvre de Bellini ! Loin des dramatiques Norma, Pirate ou Capulets et Montaigu, cet opéra constitue un délicieux camée mélancolique, à l'atmosphère lunaire et psychanalytique qui nous plonge dans le bel canto le plus touchant. Composé en 1831 entre Les Capulets et les Montaigu (1827) et Norma (1831), le rôle d'Amina fut conçu pour célébrer les talents de la grande cantatrice Giuditta Pasta, star incontestée de l'époque. L'ouvrage fut un tel succès que Maria Malibran, autre légende et icône du siècle romantique, demanda au compositeur une transposition plus basse du rôle pour l'interpréter à son tour. C'est ainsi que, depuis sa création, les soprani légers coloratures et les soprani dramatiques se disputent le rôle de la fragile victime.

D'Amelita Galli-Curci et Toti Dal Monte, hier, à Maria Callas et Joan Sutherland, aujourd'hui, La Sonnambula fut célébrée par les plus grandes divas. Le lecteur amoureux impénitent de la Divine se reportera aux somptueux enregistrements qu'elle nous laissa – studio avec Serafin, sur le vif avec Bernstein – et aux extraordinaires photos empreintes d'un charme et d'une poésie inoubliables de la même production (Scala) où officiaient Bernstein et Visconti. Le présent DVD a donc de quoi susciter un intérêt particulier, d'autant qu'aujourd'hui l'œuvre est plutôt négligée.

La production du Théâtre communal de Florence (décembre 2000) est superbe et particulièrement novatrice. La captation fut opérée lors de la représentation du 31 janvier 2004. Même si les partis pris du metteur en scène semblent avoir créé une vraie controverse, le résultat est vraiment convaincant. Les décors sont superbes, extrêmement colorés (incroyables assemblages séduisants de bleus, verts et rouges) et astucieusement contrastés, les lumières superbement mises en résonance avec l'action. L'argument est transposé en fin de XIXe siècle et met en exergue la vie intérieure d'Amina – elle vit dans une grande maison de poupée – et l'incompréhension cruelle de la société qui l'entoure –extraordinaire scène inquisitrice où la communauté accuse d'un index vengeur la malheureuse ; on pense à Ibsen et à Freud quand elle s'allonge sur le divan rouge du Comte Rodolfo. La mise en scène de Federico Tiezzi réinvente une intrigue plus resserrée et plus angoissante que la conventionnelle historiette à l'eau de rose qu'on nous sert d'habitude. Sans sa Suisse de carton-pâte, Amina vit une introspection psychanalytique illustrée de nombreuses références cinématographiques. La scène de somnambulisme devient un suicide manqué quand l'héroïne traverse par deux fois le pont de métal au-dessus de la neige verglacée qui finit par s'écrouler.

Côté chanteurs, notre bonheur est complet !

Eva Mei, en tête, qu'on avait connue un peu insignifiante et pâle, est exceptionnelle. Sa voix douce et tendre, capable des plus belles nuances et des ornementations les plus difficiles, fait merveille. L'aria finale du second acte, Ah ! non credea mirarti, qui met en valeur ses qualités de colorature, est un modèle du genre, avec un violoncelle obligé d'une grande expressivité. À ses côtés, José Bros, si l'on en accepte le timbre, compose un Elvino parfait de vocalità ; toutes ses interventions sont d'ailleurs saluées par un public particulièrement enthousiaste. Le comte Rodolfo de Giacomo Prestia est bien séduisant, lui aussi, tout comme les seconds rôles.

Quant à Daniel Oren, d'habitude plus spécialisé dans le spectaculaire des Arènes de Vérone, il sait montrer quel grand chef attentif et plein d'empathie pour ses chanteurs il peut être. À la tête d'un orchestre et de choeurs captivants, il dirige avec une âme et une tendresse passionnées. Pour finir, des prises de vue modernes, vivantes, une image et un son exceptionnels couronnent vraiment ce DVD qui mérite curiosité et attachement.

MS