Recherche
Chroniques
Vincenzo Bellini
Norma
TDK propose une nouvelle Norma, captée à Parme en 2001 au Teatro Regio, avec June Anderson dans le rôle-titre. La soprano américaine, qui débuta en 1978 dans le rôle de la Reine de la nuit de Zauberflöte, reste encore aujourd'hui la star incontestée du répertoire belcantiste. Celle qui s'illustra dans les plus grands Donizetti, Bellini, Verdi et Rossini débuta sa carrière en France avec Robert le diable (Meyerbeer) en 1985. Elle laissa aux Parisiens un souvenir inoubliable de son talent avec une Fille du régiment (Donizetti) anthologique aux côtés d'Alfredo Kraus à l'Opéra Comique, ainsi qu'une interprétation sans égal de l'Elvira des Puritani. Les plus grands théâtres du monde entier l'acclament alors, dans les grands rôles de soprano dramatique et lyrique. Au fil des années, grâce à l'incroyable étendue de ses possibilités vocales, elle a progressivement élargi son répertoire vers Offenbach (les trois héroïnes des Contes d'Hoffmann), Richard Strauss (Salome, Arabella et la Comtesse de Capriccio), Tchaïkovski (Tatiana d’Eugène Onéguine et Iolanta). Bernstein la choisit pour réenregistrer son Candide ; elle y campe une extraordinaire Cunégonde. Tout récemment, elle était l'Agavé de The Bassarids (Hans Werner Henze) lors de la création française au Châtelet [lire notre chronique du 15 avril 2005].
June Anderson a choisi d'aborder pour la première fois Norma en 1997 au Lyric Opera de Chicago, mais c'est la performance parmesane de l'actrice et de la chanteuse que ce DVD nous restitue. Accompagnée par un chef et un orchestre baroques, jouant sur instruments anciens, elle relève donc, à sa manière, le défi des grandes Norma du siècle précédent que furent Maria Callas, Montserrat Caballé, Joan Sutherland, pour ne citer qu'elles. La cantatrice bostonienne, dont le début de carrière rappelait plutôt l'Australienne Sutherland, sait mieux que son illustre devancière allier à une ligne vocale impeccable un engagement et un projet dramatique incroyables. Chacune de ses interventions – et elles sont très riches dans l'opéra de Bellini – est un vrai moment de pur bel canto, auquel s'ajoute une authentique caractérisation noble, tendre et désespérée du drame de la prêtresse gauloise. À peine perçoit-on dans le medium l'usure des ans d'un léger vibrato, bien naturel à cette étape de sa carrière. On attendait, bien sûr, la diva dans son long passage du premier acte, qui débute avec le fameux Sediziosi voci et continue par la célébrissime cantilène Casta Diva, sorte d'examen des candidates depuis Maria Callas. Elle s'en sort à la perfection ! Les vocalises, meurtrières pour la Callas à partir de 1960, de la cabalette qui suit, sont simplement superbes ; Anderson en tente même une approche baroquisante.
À ses côtés, la jeune Daniela Barcellona, étoile montante des mezzos belcantistes, ne déçoit pas. Elle a toutes les qualités qu'on attend pour Adalgisa. L'Italienne, qui fit sensation aux côtés des époux Alagna lors de la captation à Berlin du Requiem de Verdi dirigé par Abbado la même année, possède un timbre chaud et expressif et une diction impeccable. Elle forme un duo d'exception avec Norma dont le sommet est bien sûr le Mira, O Norma élégiaque et superlatif. Rien à dire des efficaces Pollione de Shin Young Hoon et Orovese d’Ildar Abdrazakov, corrects, mais pas inoubliables – et à propos desquels le livret reste complètement muet.
Le seul point critique de cette captation est la direction agressive et hors de propos de Fabio Biondi. Le chef vénitien, que l'on peut apprécier dans le dernier enregistrement du Bajazet de Vivaldi, n'a visiblement pas l'intelligence de ce répertoire. Sa conception contrastée et brutale de la ligne orchestrale aurait pu faire merveille dans les passages guerriers, qui ressemblent plus à des marches militaires qu'à des symphonies romantiques. Hélas, on touche ici le fond, avec un résultat vulgaire et tonitruant, qui est souvent le piège pernicieux de cette musique. Dans les scènes tendres et désespérées où Norma et Adalgisa déploient tout leur art, Biondi force le trait, à contre-courant des cantatrices. À ce niveau exceptionnel de chant, on rêve d'un vrai chef bellinien qui saurait respecter le legato de la ligne de chant et concevoir la vraie dimension dramatique de cet opéra. Pour finir, Roberto Andro nous propose une mise en scène ultra traditionnelle, qu'on imagine digne de la création de l'œuvre (1831). L'effet est plutôt réussi et sympathique, les costumes sont intéressants, les décors le sont beaucoup moins.
En conclusion, un DVD indispensable pour les fans de June Anderson, un peu moins pour les autres, la version de Montserrat Caballé captée à Orange en 1974 restant un must absolu.
MS