Chroniques

par laurent bergnach

Vito Palumbo
œuvres avec violon

1 CD BIS (2022)
BIS-2625
Le violoniste Francesco D'Orazio illumine deux œuvres de Vito Palumbo (1972)

Compositeur précoce, l’Italien Vito Palumbo (né en 1972) a étudié successivement aux Académies Chigiana (Sienne) et Santa Cecilia (Rome). Depuis la fin de sa formation institutionnelle, il a reçu une bourse décernée personnellement par l’un de ses maîtres, Luciano Berio – l’autre étant Azio Corghi (1937-2022), l’auteur d’un Gargantua (1984) –, le prix Petrassi (2005), ainsi que de nombreuses commandes internationales. La variété des sources d’inspiration (paysages apuliens, astronomie, etc.) se retrouve au cœur de son catalogue où se repèrent rapidement une prédilection pour le concerto avec orchestre, une musique chambriste sollicitant régulièrement l’actrice-chanteuse Sonia Bergamasco, deux courts opéras d’après Italo Calvino (Sinforosa, 2006) et Emily Dickinson (Comuni-canti, 2008), ainsi qu’un long compagnonnage avec l’électroacoustique.

Attelé à des travaux postmodernes dans ses jeunes années, Palumbo s’est tourné vers plus d’abstraction depuis, au point de se passionner pour la musique concertante, avec toutes ses possibilités de couleurs et de textures, riche de tant de possibilités de couleurs et de textures [lire notre chronique de Speaking]. Pour enregistrer le Concerto pour violon (2015), Francesco D’Orazio, muni d’un Giuseppe Guarneri de 1711, a rejoint le London Symphony Orchestra, guidé par Lee Reynolds, au fameux Studios Abbey Road (Londres). Comme monté des abysses, un climat tranquille émerge et intrigue. À peine installé, il est balayé par un prélude d’orchestre débridé, impatient, dont se détache un soliste fébrile, dans une péroraison assez vocale. Le corps de l’œuvre est à l’image de ces premières minutes, soit une alternance de moments rythmés et de suspensions contemplatives. Durant une demi-heure, l’espace sonore se déploie pour s’éteindre lentement, dans l’épuisement d’un violon éprouvé et l’oxydation des timbres alentours. Il faut saluer une écriture subtile, avec une grande maîtrise des moyens expressifs – preuve en est l’orchestre explorant la scansion violente tout comme le miroitement raffiné.

Dans ses dernières œuvres, le timbre en tant que couleur a donné naissance à une nouvelle idée, le son-lumière, que Palumbo explore à l’aide de l’électronique mêlée aux sons instrumentaux et par l’utilisation de techniques étendues dans son écriture orchestrale. Chaconne (2020) en fait partie, qui autorise le musicologue Gianni Morelenbaum Gualberto à évoquer « une partition où l’extrême sophistication ne renonce pas à la possibilité de communiquer » (notice du disque) – un trait qu’il juge significatif et récurrent chez le compositeur. Toujours prompt à servir ses contemporains, qu’ils soient compatriotes (Berio, Fedele, Ongaro, Panni, Vacchi, etc.) ou originaires du monde anglo-saxon (Dean, Nyman, Riley, etc.), Francesco d’Orazio est présent de nouveau, jouant cette fois un violon électrique à cinq cordes (Alter Ego, 2007) [lire notre critique de son récent CD Ivan Fedele] .

Chaconne comprend deux sections, qui peuvent être interprétées séparément. Le titre de la première, Woven Lights (Lumières tissées), indique d’emblée un jeu d’entrelacs, pouvant aller jusqu’à l’imitation respective entre le violoniste et Francesco Abbrescia, en charge de la partie électronique [lire notre chronique du 8 juillet 2014]. Si Vito Palumbo y explore les codes du violon traditionnel, des sonorités baroques aux allures de réminiscences, c’est bien sûr en revisitant le passé : le début de la pièce contient quelques figuralismes pastoraux, estompés, lointains (galop, clapotis, grognement, etc.) quand son achèvement libère une énergie plus urbaine, saturée, cousine de l’art de Romitelli. La richesse de ses facettes, qui va du scintillement au craquement, fait de cette pièce une énigme poétique et stimulante.

La seconde section, The Glows in the Dark (Les lueurs dans le noir), garde le violon électrique au centre d’un dialogue, cette fois avec trente parties pré-enregistrées. La pulsation suraiguë du seuil annonce une pièce moins organique et touffue que la précédente – plus courte aussi, de moitié –, qui retient l’attention par l’apparition d’harmoniques ou de pizzicati suggérant des présences instrumentales inattendues (flûte, Glaßharmonika, koto, etc.). Comme en miroir de la pulsation initiale, un motif mélodique naît d’une polyphonie de chromatismes qui superposent leur décalage ; cinq notes qui restent en tête [la-si (en montant)-sol (en descendant)-ré (en remontant)-mi / A-B-G-D-E], comme une signature, hommage ou ultime réminiscence.

LB