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La collection American Classics de Naxos poursuit très utilement son exploration du patrimoine musical d'outre-Atlantique en publiant ce CD, au programme exceptionnellement riche, sur la musique pour deux pianos de William Bolcom (né en 1938).

Bolcom a su construire une œuvre à la fois dense et populaire, jalonnée d'opus scéniques accessibles, comme Casino Paradise, son « cabaret opéra » de 1990, l'opéra A view from the bridge et de pièces de musique de chambre composées pour les plus grands, tels Yo Yo Ma ou Isaac Stern ; un catalogue encore plein de promesse, couronné déjà par un prestigieux Prix Pulitzer. En plus d'avoir un immense talent, Bill Bolcom ne craint pas de se reconnaître des racines musicales très populaires : ainsi il affirme que l'une de ses plus fortes sources d'inspiration fut Harry Warren, compositeur de musique de film et notamment de la chanson I only have eyes for you qui fit la fortune de quelques crooners, dont Franck Sinatra. Nous pourrions ajouter que Bolcom serait à classer dans la famille des plus sages compositeurs contemporains, de ceux qui ne cherchent pas à révolutionner la musique classique par des effets pédants, mais qui veulent offrir un bon moment d'entertainment à leurs auditeurs.

Ce goût du divertissement était déjà très sensible dans A view from the bridge [lire notre critique du CD], mais ce disque consacré à son œuvre pour piano nous démontre que Bolcom a vraiment un sens inné de la musique populaire, quel que soit l'instrument choisi. C'est dans le ragtime, le jazz et la musique sud-américaine que Bolcom a puisé l'essentiel de son inspiration pour ce catalogue pianistique, et l'on ne sait plus trop, au fil des plages, si l'on est dans Scott Joplin, Villa-Lobos, ou chez un sombre mais talentueux pianiste d'ambiance.

Le disque s'ouvre par les trois irrésistibles Recuerdos (Réminiscences – 1991), qui résonnent de milles accents sud-américains et rag' délicieusement nostalgiques et datés. S'en suit le sublime Frescoes (1971), longue pièce pour deux pianos, harmonium et clavecin, complexe et puissante, de près d'une demi-heure, découpée en deux mouvements de dimensions identiques. Avec ses Fresques, Bolcom explore, recherche, farfouille dans les accords mélodiques et harmoniques possibles entre tout ces claviers un peu antagonistes, et le résultat est époustouflant. Non parce qu'il se met en scène complaisamment comme étant en recherche d'une hypothétique forme nouvelle qui n'existe pas, mais parce qu'il fait état du résultat de ses explorations, et qu'il ne laisse pas son sens de la mélodie à la porte de son cabinet de travail, de son labo.

La Sonate pour deux pianos (1993) est une pièce assez dense, d'une quinzaine de minutes, qui se compose de trois parties subtilement imbriquées, et développe une esthétique originale entre un certain rigorisme formel (l'ouverture) et un sens américain du lyrisme qui s'accommode de citations de fantômes de la veille Europe (Schönberg et Debussy) ainsi que d'échos imaginaires de la très vieille Europe, celle de la Grèce antique.

Le programme est complété par trois courtes pièces pour deux pianos des années soixante, qui font chacune environ cinq minutes et bénéficièrent toutes d'une révision ultérieure. Dans l'Interlude (1963/1965), Bolcom explore vaillamment le champ chromatique, et – victime d'un certain modernisme – écrit une œuvre fastidieuse et sans grand intérêt. En revanche il donne le meilleur de lui-même dans The serpent's Kiss (ragtime) et Through Eden's Gates (Cakewalk), révisées en 1994, tirées de sa grande œuvre The garden of Eden, initialement écrite pour piano solo. Le Baiser du serpent est une balade qui hésite délicieusement entre ragtime nostalgique et mélancolie ; quant à la seconde pièce, on la dirait écrite par un Scott Joplin ou un Darius Milhaud en état de grâce.

Ce programme alléchant est servi par la technicité, l'humour et la délicatesse d'un couple de pianistes irrésistibles, par sa sonorité et son glamour : Elizabeth et Marcel Bermann, rendant justice à la dentelle ragtime que Bill Bolcom tisse pour notre plus grand plaisir. Le livret est en langues anglaise et allemande. L'enregistrement digital – sans reproche – remonte au début de l'année 2005.

FXA