Chroniques

par laurent bergnach

Witold Lutosławski
œuvres pour orchestre

1 CD Alpha (2015)
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Krzysztof Urbański joue trois œuvres pour orchestre de Witold Lutosławski

En août 1915, anticipant l’avancée des troupes allemandes, Józef Lutosławski et sa famille gagnent Moscou pour s’y réfugier trois ans, jusqu’à ce que son frère et lui, défenseurs de l’indépendance polonaise, soient exécutés par les bolchéviques. Sa veuve retourne au pays natal avec ses trois fils. Witold (1913-1994), le benjamin, s’intéresse d’abord aux mathématiques, puis au piano et au violon. À l’âge de quinze ans, il étudie l’écriture auprès de Witold Maliszewski, un ancien élève de Rimski-Korsakov ayant fui la Révolution russe. Après des diplômes obtenus en 1937 (piano) et 1939 (composition), un désir de se perfectionner à Paris se heurte à la Seconde Guerre mondiale. Opérateur radio, prisonnier puis évadé, le compositeur survit comme pianiste de bar à Varsovie.

Dans un après-guerre défavorable à l’innovation, les autorités communistes font la chasse au formalisme. Lutosławski accepte tout travail alimentaire (pièces pédagogiques, musique de scène, etc.) et voit interdire sa Symphonie n°1 (1948), pourtant peu séditieuse. Loin des icônes de ses jeunes années (Szymanowski, Roussel, Stravinsky), il s’inspire alors d’un Bartók folkloriste pour déjouer la censure (Triptyque silésien, 1951). Le climat politique s’allégeant au cours des années cinquante, il aborde le sérialisme (Cinq chants, 1960) et la musique aléatoire (Jeux vénitiens, 1961) [lire notre chronique du 14 septembre 2012], faisant de celle-ci un outil sous contrôle, non une fin en soi. L’Europe de l’Ouest le découvre comme créateur d’avant-garde attaché à l’orchestre, son instrument favori.

Sous la conduite de Krzysztof Urbański, le Sinfonieorchester des Norddeutschen Rundfunks joue trois pages de l’auteur de Chain I (1983) – une commande du London Sinfonietta [lire notre critique du CD]. Petite suite, la plus ancienne, est conçue à destination d’un orchestre de radio attaché au répertoire populaire et folklorique. Elle deviendrait célèbre sous sa version symphonique, jouée une première fois par Grzegorz Fitelberg, le 20 avril 1951. Sans surprise, elle déploie l’énergie attendue de ce type de projet, sans attirer l’attention à l’instar des pages plus récentes.

Voulant célébrer la renaissance d’un Orchestre Philarmonique de Varsovie (Orkiestra Filharmoników Warszawskich) décimé par le nazisme, Witold Rowicki commande à Lutosławski le Concerto pour orchestre (1954). Urbański se souvient avec émotion d’une diffusion radiophonique, durant son adolescence : « en l’écoutant, j’essayais d’en analyser la superbe orchestration, mais dans certains passages je n’arrivais pas à comprendre quels instruments jouaient. Cela paraissait presque électronique ! ». Si la partie médiane frétille sans fin d’une fluidité fébrile, celles qui l’encadrent sont riches en climats variés (gazouillis et déflagrations, chatoiements et ténèbres, etc.) C’est une œuvre enchanteresse, qui creuse la veine folkloriste en la mariant avec des formes baroques, où l’on peut entendre Bartók, bien sûr, mais aussi Britten et Copland.

Le programme s’achève avec la Symphonie n°4 (1993), créée à Los Angeles par Lutosławski lui-même, un an avant sa disparition. Pour d’aucuns, son caractère lyrique puise son origine dans l’Adagio de sa Symphonie n°3 (1983), dédiée à Georg Solti. Plus question de traquer les influences, dans ce travail infiniment personnel de la maturité, où l’on goûte éclaircies intrigantes, tensions placides et ombres sereines – le tout sublimé par les forces musicales en présence.

LB